Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

cinéma - Page 3

  • Édouard Baer mis en accusation dans un rôle non voulu

    « Vous vous rendez compte qu'il y a douze sujets en un là, il y a douze prises de parole différentes, il y a des scandales. Tout est différent. Il y a des saloperies, il y a des malentendus… Je pense que c'est les médias qui réunissent tout ça dans une grande cause d'époque. » (Édouard Baer, le 12 mai 2024 sur France 2).



     

     
     


    Très déstabilisé, Édouard Baer répondait le dimanche 12 mai 2024 à cette question de Laurent Delahousse dans le journal de 20 heures de France 2 : « Est-ce que vous considérez que les hommes ne parlent pas assez, ne défendent pas assez ou n'expriment pas une sorte de mea culpa ? ». L'invité, venu pour promouvoir son nouveau spectacle "Ma candidature", n'était pas n'importe qui.

    En effet, Édouard Baer, à 57 ans, est l'un des acteurs les plus "bankables" de France, comme on dit. Acteur, réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre, animateur et producteur de télévision et de radio, on le voit et l'entend partout. Initié à la comédie par la savoureuse Isabelle Nanty, sa prof d'art dramatique au cours Florent, il a eu un parcours artistique très flatteur, couronné déjà par un Molière en 2001 (et deux nominations) et par trois nominations aux Césars.

    Pourquoi l'acteur était-il si gêné de parler de MeToo à la veille du Festival de Cannes ? Peut-être parce qu'il avait été mis au courant qu'un article incendiaire allait être publié par Mediapart ce jeudi 23 mai 2024. L'article d'Amine Abdelli et Julia Tissier commence d'ailleurs par ce malaise au 20 heures : « Confus et visiblement mal à l’aise, le comédien fronce les sourcils, bafouille et s’embourbe. Lui, le pro de l’impro, apparaît soudainement déstabilisé. ».

    Pas étonnant de bafouiller autant quand on sait qu'il va être mis sur le grill de la vindicte populaire par six femmes qui ont été contactées depuis plusieurs mois par Mediapart et qui, dans cet article, accusent Édouard Baer de harcèlement sexuel et d'agressions sexuelles. L'article précise : « Elles livrent le récit de faits de harcèlement et d’agressions sexuelles sur une période s’étalant de 2013 à 2021 (…), majoritairement dans des contextes professionnels », à savoir son bureau parisien, quand il est au théâtre, ou dans les stations de radio, quand il est animateur, c'est-à-dire à Radio Nova puis à France Inter.
     

     
     


    Le journal "Le Monde", qui en rend compte avec l'AFP, explique : « Selon l’une de ces femmes, Édouard Baer aurait pris son "sein gauche avec sa main" dans un ascenseur. Une autre l’accuse de lui avoir touché "les seins à plusieurs reprises", de l’avoir "prise par la taille" et d’avoir "posé sa main sur [s]es fesses". "Il essaie de m’embrasser dans le cou et sur la bouche. Je le repousse", selon les propos rapportés d’une autre. Certaines évoquent des sollicitations répétées, des compliments insistants sur leur physique. L’une explique ne pas avoir porté plainte car elle a pensé que ce serait "sa parole contre la [s]ienne". ».

    Aucune de ces six femmes, âgées d'une vingtaine d'années au moment des faits et qui ont voulu rester anonymes dans leur témoignage, n'a déposé plainte (à ce jour). J'ajoute que dans l'entourage d'une des radios, l'information n'était pas connue même sous forme de rumeur et certains ont été étonnés de l'apprendre.

    Comme est étonné Édouard Baer lui-même qui a rapidement publié, en réponse à l'article, un communiqué d'incompréhension mais aussi d'excuses : « C’est avec stupeur et une grande tristesse que je découvre les témoignages que vous me rapportez. Je ne me reconnais pas dans les mots ou les gestes qui me sont attribués, mais je ne peux qu’exprimer mes regrets que mon comportement ait mis mal à l’aise ou blessé ces femmes. Je n’ai pas eu l’intelligence de le percevoir. J’en suis profondément désolé. Je n’ai jamais cherché à les heurter intentionnellement. Je leur présente toutes mes excuses. ».

    Si on résume grossièrement le message, c'est ceci : j'ai été assez lourd dans mon approche, aucune ne m'a dit que j'allais trop loin et je m'en veux de ne pas l'avoir vu moi-même, désolé. Dans ce genre d'affaire, on peut supposer que les deux parties, les six femmes, d'un côté, et l'acteur, de l'autre côté, sont complètement sincères. Il faut aussi comprendre qu'Édouard Baer est une grande star qui a fasciné ces six femmes qui ont à peine commencé leur vie active. On peut imaginer qu'il leur était difficile, sans être dotée une personnalité très forte, de rejeter les éventuels gestes déplacés.

    La réponse rapide et finalement assez humble (présentant ses excuses) d'Édouard Baer plaide plutôt en sa faveur, ou du moins, pour sa sincérité. Il ne nie pas les éventuels faits sans les reconnaître précisément car il y a plusieurs faits, et la réponse reste assez floue. Ce n'est pas comme Gérard Depardieu ou même comme Patrick Poivre d'Arvor qui, à ma connaissance (sous réserve que je ne me trompe pas, je ne suis peut-être pas en possession d'informations plus récentes), ne reconnaissaient pas les faits et surtout, ne présentaient pas leurs excuses à leurs (nombreuses) accusatrices.

    Évidemment, un vieil article de la journaliste Josyane Savigneau publié le 5 novembre 2016 dans "Le Monde" revient en pleine figure d'Édouard Baer. À l'origine, la journaliste voulait faire la promotion de l'acteur redevenu animateur à Radio Nova, responsable de la matinale depuis le 10 octobre 2016. Mais elle s'est sentie très mal accueillie à son arrivée à 6 heures 45 un jour d'octobre 2016, « victime des humeurs du présentateur vedette », si bien qu'elle a exprimé sa colère : « D’emblée il est odieux. Furieux qu’on ait osé désobéir, il aurait exigé qu’on ne vienne qu’à 7h30, il insiste haut et fort : il n’a rien demandé, on a omis de le prévenir, on lui pourrit la vie, on va lui faire rater son émission, qu’on dégage. Avec plaisir. Dans une vie de journaliste, il arrive parfois que l’on rencontre, c’est fatal, des gens désagréables. À ce point d’arrogance et de mépris, c’est plus que rare. Morale de l’histoire : quand on remplace les journalistes par des stars, on s’expose à ce genre de caprices. ».

     

     
     


    Ce qui n'a pas empêché la journaliste d'en dire aussi du bien (il faut dire que Matthieu Pigasse, actionnaire du "Monde", venait de racheter Radio Nova) : « On retrouve avec plaisir la voix de Baer, son ton décalé, ses improvisations bienvenues, son accueil chaleureux des participants. ». Et de terminer sur l'avis du nouveau patron : « Matthieu Pigasse se félicite de la réussite de la matinale et de l’idée de Bernard Zekri de faire appel à Édouard Baer, "tant Nova et Édouard se correspondent : les 3 C, Culture, Curiosité d’esprit, Carrefour d’échanges". "Elle incarne ce que nous voulons être et faire, précise-t-il : refuser le repli sur soi, être ouverts à tous, donner du sens et s’engager par la culture". ». Édouard Baer a quitté Radio Nova pour France Inter en 2018 (jusqu'en 2022, il me semble).

    Pour l'heure, Édouard Baer, qui avait un spectacle à Romans-sur-Isère le vendredi 24 mai 2024 à 20 heures (au théâtre des Cordeliers), l'a maintenu. Le problème qu'il n'y ait pas de dépôt de plainte, c'est de transférer cette affaire du tribunal correctionnel au tribunal médiatique, avec tous les excès que cela peut entraîner, notamment dans les réseaux (a)sociaux. Comme je ne sais que penser des accusatrices sincères et d'un supposé prédateur sexuel qui s'ignorerait et qui affirme que ce n'est pas du tout lui, et n'étant pas juge, je ne peux faire aucun commentaire de soutien aux unes ou à l'autre.

    En revanche, ce problème récurrent depuis quelques années (MeToo date de 2018) où des femmes (en général) accusent (parfois plusieurs décennies après les faits) une personnalité (généralement très connue) dans des milieux bien définis (cinéma, sports, médias audiovisuels, etc.) de divers faits allant du simple geste déplacé (voire maladroit) jusqu'au crime (le viol), en passant par des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel (qui sont des délits), est souvent insoluble quand il n'y a aucune preuve (car il faut que la victime prouve l'absence de consentement, ce qui est très difficile). Alors, c'est parole contre parole, et un juge, si cela arrive à la suite du dépôt d'une plainte, ne pourra pas condamner si le doute persiste (principe général du droit). D'un côté, il faut écouter les victimes, les femmes, ou du moins qu'elles soient écoutées, de l'autre, il ne faut pas détruire la réputation d'une personne qui serait injustement accusée (dans l'affaire d'Outreau, une personne injustement accusée s'est même suicidée). C'est du tout ou rien. Ou salaud, ou salopes, en quelque sorte.

    Un livre explique très bien ce problème. Il s'agit d'un roman d'une ancienne procureure américaine qui a fait non seulement des études de droit mais avant, des études de psychologie et qui s'est recyclée dans l'écriture de romans à succès. Alafair Burke a en effet publié en 2018 un très bon roman "Un Couple irréprochable" (en anglais "The Wife"), dont le sujet principal est cette accusation contre une personnalité médiatique.

     

     
     


    L'histoire est celle-ci, et racontée selon le point de vue de l'épouse (mère au foyer) d'un économiste qui, au-delà de donner des cours d'économie à l'université, a écrit un livre devenu best-seller, ce qui lui a donné gloire, fortune et notoriété (il a créé un cabinet de conseil en entreprises et il est invité très fréquemment à la télévision pour donner son avis). Et son expertise, c'est l'éthique dans les entreprises, et sa parole est d'or car il fait et défait des réputations d'entreprises auprès de leurs investisseurs. (L'homme accusé est un parangon de l'éthique, comme Édouard Baer considéré ouvert, sympa).

    Et puis soudain, une stagiaire l'accuse de gestes déplacés en déposant plainte. Plus tard, une autre femme avec qui il est en contact sur le plan professionnel l'accuse carrément de viol. L'affaire est suivie par une inspectrice de police spécialisée dans ce domaine (l'Unité spéciale des victimes). Il y a aussi la réaction du procureur adjoint qui ne veut poursuivre que lorsqu'il y a de fortes suspicions de culpabilité, d'autant plus que ce prévenu serait une personnalité célèbre. Comme l'auteure du roman est une spécialiste du droit, cela permet aussi de voir comment fonctionne la justice et la police (ici américaines) dans les coulisses face à une telle affaire. Interviennent aussi dans l'histoire une animatrice de télévision féministe (et amie de l'accusé), une avocate exigeante, etc.

    L'inspectrice, parce qu'elle est féministe, veut aller au plus profond des détails pour pincer l'éventuel auteur d'agressions sexuelles voire de viols. Elle admet d'ailleurs que pour la victime, il vaut mieux être violée de façon violente en pleine rue que subir des attouchements sexuels par des personnes familières dans un lieu privé, parce que ce sera beaucoup plus facile à prouver.

    La première des réactions, dans ce genre d'affaire (agression sexuelle voire viol), c'est de se focaliser sur la victime et pas sur le prédateur présumé. Et de trouver des éléments chez la victime que son infortune était la conséquence de sa vie et cela, pour se dire qu'on n'est pas comme la victime et donc, que ça ne peut pas arriver à soi : « N'est-ce pas dans la nature humaine que de toujours rejeter la faute sur la victime ? ».

    Et pourtant, parfois, les victimes ne disent pas exactement la vérité : « Impossible pour [les policiers] d'affirmer que les victimes ne racontent jamais toute la vérité, parce que cela reviendrait à les traiter de menteuses. Or, elles ne mentent pas, elles tentent de se protéger. Se préparent à affronter le scepticisme. Anticipent déjà toutes les attaques à venir, se forgent un bouclier. ».

    L'animatrice de télévision donne aussi les différentes étapes dans ce genre d'affaire : « La première réaction de l'opinion publique, c'est toujours de jeter le discrédit sur la femme, parce que la société ne veut pas admettre que de telles horreurs se produisent. Alors, en réaction, les féministes convaincues ont décrété qu'il fallait croire toutes les femmes, chaque fois. ».

    Féministe, l'animatrice est d'accord avec cette réaction : « C'est vrai, a-t-elle admis, je suis toujours la première à défendre les femmes dans les cas d'agression sexuelle où tout repose sur la parole de l'un contre celle de l'autre. Parce que, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, elles disent la vérité, et que c'est une terrible épreuve pour elles d'en parler. Elles se retrouvent jugées, stigmatisées, blâmées, critiquées. ».

    Et dans une affaire de viol, cela retombe toujours sur la même question : « Quelles que soient les allégations de cette fille, ce sera sa parole contre celle de [l'accusé]. Or l'accusation a besoin d'éléments concrets. Et même s'il peut s'appuyer sur l'ADN, le procureur doit démontrer que la relation n'était pas consentie. ».

    Mais justement, des petits détails peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre pour la police. Ainsi, dans ce roman, la policière va voir de façon informelle l'accusé qui ne sait pas encore qu'il est aussi accusé de viol par une seconde femme (il est juste accusé de harcèlement sexuel par une première femme). La policière lui demande alors s'il a eu des relations sexuelles avec cette seconde femme et ce dernier, au lieu de refuser de répondre sans son avocat, fait l'erreur de dire qu'il n'a pas eu de relations sexuelles, sans savoir que la seconde femme avait gardé intacte sa robe avec des traces de lui. Avoir des relations sexuelles ne confirme pas forcément le viol, car ces relations peuvent être consenties, mais mentir sur la réalité des rapports sexuels (même pour éviter d'en informer son épouse), c'est jeter un discrédit sur tout ce qu'il va affirmer.

    A contrario, la policière garde aussi des détails sur l'accusatrice qui lui demande une heure avant de passer chez elle, le temps de faire un peu de ménage : « [La policière] venait déjà de découvrir quelque chose à propos de [l'accusatrice] : c'était le genre de personne qui pensait à remettre de l'ordre chez elle avant de recevoir un policier pour dénoncer des actes de harcèlement sexuel. En soi, ça ne signifiait rien, pourtant [l'inspectrice] remisa soigneusement ce détail dans un coin de sa tête, parce qu'elle aimait à penser que rien ne lui échappait. ».

    Bref, ce roman est très intéressant pour comprendre la mécanique des accusations, des défenses et des jugements. Plus rien de mal ne doit rester impuni. Mais reste à se mettre d'accord sur ce qui est mal, sur ce qui est un mauvais comportement, un comportement inapproprié. L'homme est décidément détrôné, dans cette société qui se transforme à vive allure.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    "Un Couple irréprochable" (2018) d'Alafair Burke.
    Édouard Baer.
    Lucien Neuwirth.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240523-edouard-baer.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/edouard-baer-mis-en-accusation-254809

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/26/article-sr-20240523-edouard-baer.html


     

  • Alain Souchon et sa quête de la fidélité et du plaisir

    « Vous voulez dire que ma vie se définit par la quête de la fidélité et du plaisir qu'elle procure ? C'est vrai. » (Alain Souchon).


     

     
     


    Dans cette interview recueillie par Hugo Cassavetti et Valérie Lehoux, et publiée dans "Télérama" le 27 septembre 2008, il poursuivait : « Comme j'ai beaucoup changé, tout le temps, je me suis toujours dit que je n'aimerais pas changer de femme, j'habite toujours le même appartement, j'ai toujours le même numéro de téléphone... ». Et d'ajouter à Ludovic Perrin le 19 octobre 2019 dans le "Journal du dimanche" : « Je n’ai ni portable ni tablette, je n’ai pas l’expérience d’Internet ! ».

    Eh oui, il y a toujours cette impression que le chanteur est en dehors du temps, un peu tendre rêveur, un peu souriant amer, un peu nostalgique... et voici qu'il se prend sur la binette la glaciale addition de l'état-civil : Alain Souchon fête son 80e anniversaire ce lundi 27 mai 2024. Un vieillard, un vieillard adolescent ! Le 24 mai, c'était le tour de Dominique Lavanant, et le 25, cela aurait dû être celui de Pierre Bachelet, mais il est parti depuis longtemps sans crier gare.

    Ce ne serait pas très original si j'écrivais que j'adore Alain Souchon, et comme c'est vrai, je l'écris quand même. Il est à la fois hors du temps et en plein dans son époque, car beaucoup de ses chansons évoquent de nombreux sujets d'actualité, de société, et c'est le cas pour de nombreux chanteurs, d'ailleurs. Il combat ce monde d'hyperconsommation et se dit qu'il n'était pas fait pour ce monde. Heureusement qu'il est devenu un chanteur à succès, avec une carrière qui lui a permis cette existence sociale, car il ne sait pas ce qu'il aurait fait de sa vie, sans cela : « Il y a un truc de maladie, de tristesse, je suis sûr de ça. Je suis privilégié, j'ai une vie extraordinaire qui me permet de ne pas être pris dans le tourbillon, d'être retiré du monde rentable. Mais seul, on n'est rien. Les autres, c'est notre raison d'être. Regarder, écouter les autres, c'est toujours intéressant. » ("Télérama"). "Foule sentimentale" : « On a soif d'idéal, Attirée par les étoiles, les voiles, Que des choses pas commerciales, Foule sentimentale, Il faut savoir comme on nous parle ».

    Alain Souchon, c'est le gars trop distrait pour faire des études, sorte de Gaston Lagaffe (il a un tonton Gaston) avant l'heure... et sans les gaffes. Qui aurait bien aimé explorer le Pôle Nord ou être un universitaire écouté et érudit. Et puis, il y a eu ce satané accident d'automobile qui a coûté la vie à son père prof d'anglais (sa mère a dû écrire des romans de gare pour survivre). Nouvelle famille à 7 ans (sa mère s'est remariée avec son père biologique, après avoir quitté son beau-père). Orphelin à 15 ans. Amour, tendresse, et gravité à la fois, dépression même. Et bien sûr nostalgie. Les thèmes sont souvent graves et pourtant doux en même temps. Il n'a vraiment commencé sa carrière d'auteur compositeur interprète qu'en 1973 où il a vite eu une reconnaissance de professionnels et la possibilité d'enregistrer un disque. À l'aube de ses 30 ans.

    Le disque, c'est tout pour lui. Il en a d'ailleurs vendu plus de 10 millions, c'est beaucoup même si d'autres confrères ont fait bien plus : « Autrefois, on faisait des disques qui marchaient très fort et qui passaient beaucoup à la radio. Et puis on allait faire des salles, à Montpellier ou ailleurs, et il n'y avait personne. Maintenant, c'est le contraire. Les radios sont tellement submergées qu'on peut très peu y passer. En revanche, il y a du monde aux spectacles. Comme dans les années 50, on revient à la fonction première du chanteur : il chante et, éventuellement, on achète son disque pour se souvenir. Mais moi je viens d'une époque où l'important, c'était le disque. » ("Télérama"). La consécration, pour lui, fut l'Olympia en 1979 (au début, il était en première partie de spectacle, ceux de Thierry Le Luron par exemple). Et plus tard une dizaine de trophées aux Victoires de la musique.

     

     
     


    Avec quelques autres comme Michel Jonasz ou Jacques Higelin, Alain Souchon a un peu révolutionné la chanson française, avec la volonté d'éviter de copier Georges Brassens ou Jacques Brel qui l'ont fasciné. Sa chance, c'était sa rencontre avec un autre artiste débutant Laurent Voulzy en 1974 et depuis, ils ont cultivé une grande amitié mais aussi collaboration fidèle et durable. En gros, Voulzy compose de la musique pour Souchon (exemple : "J'ai 10 ans") et Souchon écrit des textes pour Voulzy (exemple : "Rockollection" en 1977) : « On se voyait avec Michel Jonasz, nous n'étions alors pas connus. On voulait être différents, mais c'était instinctif, pas calculé. On n'avait pas envie de faire comme ceux qui nous avaient précédés. D'abord parce qu'on n'aurait pas pu. Quand on arrive derrière Brassens, on ne peut pas faire mieux, ni même aussi bien, c'est tellement fort. Alors, j'écrivais mes trucs de "bobo-pipi-bobo" sans réfléchir. C'est venu tout seul. Je n'étais qu'un amateur. Puis j'ai rencontré Laurent Voulzy, avec sa culture pop extraordinaire, qui jouait de la guitare les doigts dans le nez. Il jouait comme j'en rêvais. Lorsqu'on a fait "J'ai 10 ans", ça m'a ouvert un monde : c'était travaillé, agencé, avec des notes placées volontairement, pas par hasard. Ça m'a donné un plaisir inouï, à cause du rythme, du "beat". C'était exactement ce que je voulais, je n'y arrivais pas tout seul. Laurent est trop perfectionniste et moi trop amateur, c'est cet équilibre qui définit notre couple. Et qui est rassurant. Pour moi. Pour lui. Cette approche plus rythmique m'a obligé à modifier mon écriture, à briser mes phrases, à bousculer la langue, le français. C'était comme un jeu. Un jeu qui a duré plusieurs années. Jusqu'à en devenir un tic d'écriture, trop facile. Alors je suis revenu à un style plus classique. » ("Télérama"). Laurent Voulzy a maintenant 75 ans et les deux chanteurs continuent à bosser ensemble !

    Comme de nombreux chanteurs, Alain Souchon a fait une (courte) incursion dans le cinéma. Déjà pour la musique de films, en particulier avec François Truffaut ("L'amour en fuite", en 1979), mais il a aussi été acteur, jouant sous la direction de Claude Berri, Jean-Pierre Rappeneau, Jean Becker, Jacques Doillon, Agnès Varda et quelques autres, aux côtés de Catherine Deneuve, Serge Gainsbourg, Isabelle Adjani (particulièrement "Tout feu, tout flamme" et "L'Été meurtrier"), Miou-Miou, Robin Renucci, Gérard Depardieu, etc. (en tout, douze films de 1980 à 2019, mais, malgré ses deux nominations aux Césars en 1981 et 1984, il n'a pas beaucoup persévéré dans cette voie quand il a vu Michel Bouquet ou Michel Piccoli, entre autres, qui étaient, eux, de grands acteurs).

    Alain Souchon a fait de nombreuses collaborations artistiques, pas seulement avec son compère Voulzy mais aussi avec (notamment) Jane Birkin, Françoise Hardy, Louis Chedid, Charles Aznavour, Jean-Louis Aubert, Eddy Mitchell, Patrick Bruel, Zazie, Nolwenne Leroy, Michel Delpech, Salvator Adamo, Nana Mouskouri, Véronique Sanson, etc. ...et même Marcel Amont ! Sans compter que depuis quelques années, ses deux enfants (Pierre Souchon et Charles Souchon dit Ours) l'accompagnent dans ses prestations.

    Invité d'Émilie Mazoyer le 4 janvier 2023 sur France Bleu, Alain Souchon, grand travailleur, a lâché : « À 16 ans, j'étais un trainard impressionné par le fait qu'il fallait gagner sa vie. ». Plus de soixante ans plus tard, il est plus impressionnant qu'impressionné parce qu'il est toujours sur scène, l'an dernier dans une tournée de cent cinquante concerts. Son dernier album est sorti le 25 novembre 2022. Alors, puisqu'on ne présente pas Souchon (Émilie Mazoyer le présente comme « l'un des plus grands artistes » et « le monument de la chanson française », tandis que sa notice dans le Larousse explique doctement qu'il « [cultive] l'image d'un éternel adolescent au spleen tout baudelairien »), laissons-nous vibrer avec lui...



    1. "J'ai 10 ans" (1974)






    2. "Bidon" (1976)






    3. "Jamais content" (1977)






    4. "Allo Maman bobo" (1977)






    5. "Y'a d'la rumba dans l'air" (1977)






    6. "Papa mambo" (1978)






    7. "L'amour en fuite" (1979)






    8. "C'est comme vous voulez" (1985)






    9. "La ballade de Jim" (1985)






    10. "Ultra moderne solitude" (1988)







    11. "Quand j'serai KO" (1988)






    12. "C'est déjà ça" (1993)






    13. "Foule sentimentale" (1993)






    14. "L'amour à la machine" (1993)






    15. "Sous les jupes des filles" (1993)






    16. "Le baiser" (2000






    17. Interview par Darius Rochebin sur RTS le 22 janvier 2012



     


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (25 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Charles Aznavour.
    Alain Souchon.
    Patrick Bruel.
    Eden Golan.
    ABBA.
    Toomaj Salehi.
    Sophia Aram.
    Fanny Ardant.
    Alain Bashung.
    Alain Chamfort.
    Micheline Presle.
    Plastic Bertrand.
    Jacques Dutronc.

    Françoise Hardy.
    Guy Marchand.
    Maria Callas.
    Catherine Deneuve.
    Gérard Depardieu.
    Stéphanie de Monaco.
    Jane Birkin.
    Fernand Raynaud.
    Marcel Zanini.
    Patricia Kaas.
    Kim Wilde.


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240527-alain-souchon.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/alain-souchon-et-sa-quete-de-la-254645

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/21/article-sr-20240527-alain-souchon.html




     

  • Nostalgies aznavouriennes

    « Je vous parle d'un temps
    Que les moins de vingt ans
    Ne peuvent pas connaître »
    (Charles Aznavour, "La Bohème", 1965).





    _yartiAznavour02

    L'auteur, compositeur, interprète et acteur Charles Aznavour est né il y a juste 100 ans, le 22 mai 1924, au sixième arrondissement de Paris. Il serait aujourd'hui centenaire, et un centenaire chantant, car il n'a jamais vraiment arrêté de chanter depuis ses débuts en 1933, jusqu'à son départ de terre le 1er octobre 2018.

    À l'occasion de ce centenaire, Universal France a sorti le 10 mai 2024 le coffret "The Complete Work, Centenary Edition" qui réédite toute sa discographie française et internationale, avec des enregistrements en studio mais aussi en concert (en live), de 1948 à 2015. Il contient 100 CD avec des sons restaurés et remasterisés, incluant des versions inédites. Répartis notamment ainsi : 33 CD pour sa discographie française complète (51 albums originaux comprenant 751 titres) ; 26 CD pour sa discographie internationale complète (41 albums originaux comprenant 542 titres) ; 20 concerts comprenant 513 titres (et il y a encore des CD pour des bonus, des contes pour enfants, etc.). Ce coffret est vendu 300 euros en tirage limité et numéroté (je n'en fais pas la publicité mais je le signale simplement). (Moi, ça m'impressionne toujours les coffrets "toute l'œuvre complète" d'un artiste, que ce soit un chanteur ou un acteur ; c'est comme une urne funéraire, un cube somme toute relativement petit pour représenter, ici, quatre-vingt-quatorze années d'existence de la vie d'un homme).

    Parce que ses chansons éternelles datent de cette époque, malgré ces nombreuses décennies de scène, Aznavour me fait penser avant tout à la nostalgie des années 1960, une nostalgie très parisienne, Montmartre, etc. Une époque peut-être encore facile (ce qui est faux, se soigner était plus compliqué qu'aujourd'hui), sans les turpitudes de la complexité du monde d'aujourd'hui, complexité économique, géopolitique, planétaire, numérique, génétique, etc. S'il fallait donner un couple de chanteurs caractérisant les Trente Glorieuses à Paris, ce serait évidemment Charles Aznavour et Édith Piaf... Je propose à la fin ses quelques chansons ultraconnues qui ont fait si bien aimer Aznavour, Paris, le français, la France, les Français, l'amour...

    Auparavant, je veux évoquer un élément étonnant de sa biographie : sa rencontre avec les Manouchian qu'il connaissait bien avant et pendant la guerre.

    Le père de Charles Aznavour était un Arménien de Géorgie (à l'époque province russe) et sa mère une Arménienne de la région de Marmara (à l'époque dans l'empire ottoman, maintenant, à l'ouest de la Turquie), et ils se sont rencontrés à Constantinople (Istanbul) en 1921. Ils se sont réfugiés à Paris en 1924, juste avant la naissance de Charles (et après la naissance de sa sœur Aïda, née seize mois avant lui). La petite famille Aznavourian était à la fois artiste et restauratrice : le père baryton tenait un restaurant, la mère comédienne, la sœur au piano, et forcément, Charles était dans cette ambiance d'artistes de toutes origines, réfugiés d'Europe centrale et orientale des années 1920 et 1930 (et il y avait aussi en France une forte immigration arménienne à l'époque, les Arméniens fuyant la nouvelle Union Soviétique après avoir fui la Turquie génocidaire). Charles Aznavour, passionné de cinéma et voulant être acteur, adopta son nom définitif, Aznavour (au lieu d'Aznavourian), dès l'âge de 9 ans, à ses premières prestations (il voulait être chanteur et acteur, comme ses parents). Adolescent, il a assisté à des dizaines de concerts de Maurice Chevalier, et allait toutes les semaines au cinéma russe et au théâtre arménien.

     

     
     


    Quel rapport avec les Manouchian ? Celle qui allait devenir Mélinée Manouchian était une rescapée du génocide contre les Arméniens. Orpheline à l'âge de 2 ans, elle s'est réfugiée en Grèce en 1922 puis en France en 1926. Dans les années 1930, elle s'est intégrée à la famille Aznavourian à Paris, et a ainsi accompagné le premier succès de radio-crochet de Charles Aznavour en 1935. Adhérente du parti communiste français pour combattre le fascisme, elle y a rencontré son futur mari, Missak Manouchian, en 1934, qui passait aussi de nombreuses soirées chez les Aznavourian à chanter ou à lire ses poèmes (il a appris à Charles Aznavour à jouer aux échecs). Missak fut fusillé par les nazis le 21 février 1944 au Mont-Valérien après leur engagement dans la Résistance (les Aznavourian avaient caché le couple chez eux). Mélinée Manouchian lui a survécu quarante-cinq ans. Tous les deux ont été transférés au Panthéon le 21 février 2024 dans une cérémonie présidée par le Président Emmanuel Macron.

    Après la guerre, les Aznavourian envisageaient d'aller vivre en Arménie soviétique, ils s'étaient déjà fait faire des passeports soviétiques (Staline avait encouragé tous les réfugiés arméniens à revenir en Arménie), mais Mélinée Manouchian les en dissuada en raison de l'extrême dureté du régime stalinien. La suite est d'ailleurs très étrange : les passeports soviétiques, qui n'ont servi donc à rien, furent laissés au fond d'un tiroir d'un meuble. Complètement oubliés. Un peu plus tard, le meuble en question a été donné à une association caritative pour être vendu (comme aujourd'hui chez Emmaüs). Bien plus tard, Charles Aznavour a reçu un coup de téléphone de l'actrice Simone Signoret : elle venait de retrouver ces passeports et voulait les lui rendre. Elle venait d'acheter le meuble. Destin farceur. Cette anecdote est restée secrète pendant de longues années, jusqu'à ce que Charles Aznavour se soit livré en septembre 2014 auprès de Cyril Hanouna dans son émission sur Europe 1 ("Les pieds dans le plat").

    Fasciné par Maurice Chevalier et Charles Trenet, Aznavour a voulu chanter joyeusement sur des sujets pas forcément joyeux. Charles Trenet était son modèle absolu parce que, comme il l'expliquait le 8 décembre 2014 : « Parce qu’il a fait ce que les autres n’ont pas fait : chanter des chansons gaies, mais avec du fond. Prenez la plupart de ses premiers succès. "Je chante", par exemple : le texte n’est pas du tout léger. C’est tout de même l’histoire d’un gars qui se pend. "J’ai rendez-vous avec la lune: non plus. Il a montré qu’on pouvait aller au-delà de la chansonnette facile. Il y a une ouverture pour quelqu’un comme Guy Béart. D’ailleurs, c’est aussi la force de Trenet : il y a chez lui une ouverture pour tous ceux qui sont venus ensuite. Pour Brassens, pour Brel, et pour moi bien sûr. Trenet, c’est celui que chacun d’entre nous a rêvé d’être. » ("Migros Magazine").

    Cela a donné, après une vingtaine d'années de scène un peu laborieuse, un énorme succès tant commercial qu'artistique, amorcé par "Je m'voyais déjà". En tout, plus de mille deux chansons interprétées (beaucoup d'autres écrites pour d'autres chanteurs comme Édith Piaf, Eddie Constantine, Gilbert Bécaud, Serge Gainsbourg, Joe Dassin, Juliette Gréco, Maurice Chevalier, Régine, Johnny Hallyday, Mireille Mathieu, Eddy Mitchell, Dorothée, Richard Antony, Bob Dylan, etc.), en neuf langues (le français, l'allemand, l'anglais, l'italien, l'espagnol, le russe, l'arménien, le napolitain et le kabyle), quatre-vingt-douze albums enregistrés en studio, dont une trentaine de disques d'or, plus de 180 millions d'exemplaires vendus partout dans le monde. Sans compter sa participation à en environ quatre-vingts films et téléfilms et cinq pièces de théâtre.


    Il avait besoin de la scène : « C’est le miracle. Ce n’est pas juste un désir, c’est un bonheur. Je suis poussé vers elle. Bien avant la presse, le public m’est fidèle. Et j’ai besoin d’aller devant lui. (…) Je suis sans doute le seul chanteur triste qui est heureux d’être devant son public. Et il paraît que ça se sent. » ("Migros Magazine").

    Parmi les très nombreuses collaborations avec d'autres artistes, citons par exemple José Carreras, Elton John, Dalida, Nana Mouskouri, Liza Minnelli, Claude François, les Compagnons de la chanson, Franck Sinatra, Ray Charles, Fred Astaire, Petula Clark, etc. Même le chanteur Kendji Girac, sous les projecteurs de l'actualité récente, a chanté en 2015 sa fameuse chanson "La Bohème" (qui racontait le quartier de Montmartre). Charles Aznavour a reçu de très nombreuses récompenses, dont un Lion d'or de la Mostra de Venise en 1971, un César d'honneur en 1997, deux Victoires de la musique en 1997 et 2010, etc.

    Mais laissons-nous nous enivrer de sa nostalgie...



    1. "Je m'voyais déjà" (1961)






    2. "For me formidable" (1963)






    3. "Hier encore" (1964)






    4. "La Bohème" (1965)






    5. "Emmenez-moi" (1967)






    6. "Mourir d'aimer" (1971)






    7. "Comme ils disent" (1972)






    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (20 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La France de Charles Aznavour.
    Charles Aznavour.
    Alain Souchon.
    Patrick Bruel.
    Eden Golan.
    ABBA.
    Toomaj Salehi.
    Sophia Aram.
    Fanny Ardant.
    Alain Bashung.
    Alain Chamfort.
    Micheline Presle.
    Plastic Bertrand.
    Jacques Dutronc.

    Françoise Hardy.
    Guy Marchand.
    Maria Callas.
    Catherine Deneuve.
    Gérard Depardieu.
    Stéphanie de Monaco.
    Jane Birkin.
    Fernand Raynaud.
    Marcel Zanini.
    Patricia Kaas.
    Kim Wilde.


    _yartiAznavour03



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240522-aznavour.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/nostalgies-aznavouriennes-254540

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/15/article-sr-20240522-aznavour.html




     

  • "Un Couple irréprochable" d'Alafair Burke

    « Vous vous rendez compte qu'il y a douze sujets en un là, il y a douze prises de parole différentes, il y a des scandales. Tout est différent. Il y a des saloperies, il y a des malentendus… Je pense que c'est les médias qui réunissent tout ça dans une grande cause d'époque. » (Édouard Baer, le 12 mai 2024 sur France 2).


     

     
     


    Très déstabilisé, Édouard Baer répondait le dimanche 12 mai 2024 à cette question de Laurent Delahousse dans le journal de 20 heures de France 2 : « Est-ce que vous considérez que les hommes ne parlent pas assez, ne défendent pas assez ou n'expriment pas une sorte de mea culpa ? ». L'invité, venu pour promouvoir son nouveau spectacle "Ma candidature", n'était pas n'importe qui.

    En effet, Édouard Baer, à 57 ans, est l'un des acteurs les plus "bankables" de France, comme on dit. Acteur, réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre, animateur et producteur de télévision et de radio, on le voit et l'entend partout. Initié à la comédie par la savoureuse Isabelle Nanty, sa prof d'art dramatique au cours Florent, il a eu un parcours artistique très flatteur, couronné déjà par un Molière en 2001 (et deux nominations) et par trois nominations aux Césars.

    Pourquoi l'acteur était-il si gêné de parler de MeToo à la veille du Festival de Cannes ? Peut-être parce qu'il avait été mis au courant qu'un article incendiaire allait être publié par Mediapart ce jeudi 23 mai 2024. L'article d'Amine Abdelli et Julia Tissier commence d'ailleurs par ce malaise au 20 heures : « Confus et visiblement mal à l’aise, le comédien fronce les sourcils, bafouille et s’embourbe. Lui, le pro de l’impro, apparaît soudainement déstabilisé. ».

    Pas étonnant de bafouiller autant quand on sait qu'il va être mis sur le grill de la vindicte populaire par six femmes qui ont été contactées depuis plusieurs mois par Mediapart et qui, dans cet article, accusent Édouard Baer de harcèlement sexuel et d'agressions sexuelles. L'article précise : « Elles livrent le récit de faits de harcèlement et d’agressions sexuelles sur une période s’étalant de 2013 à 2021 (…), majoritairement dans des contextes professionnels », à savoir son bureau parisien, quand il est au théâtre, ou dans les stations de radio, quand il est animateur, c'est-à-dire à Radio Nova puis à France Inter.
     

     
     


    Le journal "Le Monde", qui en rend compte avec l'AFP, explique : « Selon l’une de ces femmes, Édouard Baer aurait pris son "sein gauche avec sa main" dans un ascenseur. Une autre l’accuse de lui avoir touché "les seins à plusieurs reprises", de l’avoir "prise par la taille" et d’avoir "posé sa main sur [s]es fesses". "Il essaie de m’embrasser dans le cou et sur la bouche. Je le repousse", selon les propos rapportés d’une autre. Certaines évoquent des sollicitations répétées, des compliments insistants sur leur physique. L’une explique ne pas avoir porté plainte car elle a pensé que ce serait "sa parole contre la [s]ienne". ».

    Aucune de ces six femmes, âgées d'une vingtaine d'années au moment des faits et qui ont voulu rester anonymes dans leur témoignage, n'a déposé plainte (à ce jour). J'ajoute que dans l'entourage d'une des radios, l'information n'était pas connue même sous forme de rumeur et certains ont été étonnés de l'apprendre.

    Comme est étonné Édouard Baer lui-même qui a rapidement publié, en réponse à l'article, un communiqué d'incompréhension mais aussi d'excuses : « C’est avec stupeur et une grande tristesse que je découvre les témoignages que vous me rapportez. Je ne me reconnais pas dans les mots ou les gestes qui me sont attribués, mais je ne peux qu’exprimer mes regrets que mon comportement ait mis mal à l’aise ou blessé ces femmes. Je n’ai pas eu l’intelligence de le percevoir. J’en suis profondément désolé. Je n’ai jamais cherché à les heurter intentionnellement. Je leur présente toutes mes excuses. ».

    Si on résume grossièrement le message, c'est ceci : j'ai été assez lourd dans mon approche, aucune ne m'a dit que j'allais trop loin et je m'en veux de ne pas l'avoir vu moi-même, désolé. Dans ce genre d'affaire, on peut supposer que les deux parties, les six femmes, d'un côté, et l'acteur, de l'autre côté, sont complètement sincères. Il faut aussi comprendre qu'Édouard Baer est une grande star qui a fasciné ces six femmes qui ont à peine commencé leur vie active. On peut imaginer qu'il leur était difficile, sans être dotée une personnalité très forte, de rejeter les éventuels gestes déplacés.

    La réponse rapide et finalement assez humble (présentant ses excuses) d'Édouard Baer plaide plutôt en sa faveur, ou du moins, pour sa sincérité. Il ne nie pas les éventuels faits sans les reconnaître précisément car il y a plusieurs faits, et la réponse reste assez floue. Ce n'est pas comme Gérard Depardieu ou même comme Patrick Poivre d'Arvor qui, à ma connaissance (sous réserve que je ne me trompe pas, je ne suis peut-être pas en possession d'informations plus récentes), ne reconnaissaient pas les faits et surtout, ne présentaient pas leurs excuses à leurs (nombreuses) accusatrices.

    Évidemment, un vieil article de la journaliste Josyane Savigneau publié le 5 novembre 2016 dans "Le Monde" revient en pleine figure d'Édouard Baer. À l'origine, la journaliste voulait faire la promotion de l'acteur redevenu animateur à Radio Nova, responsable de la matinale depuis le 10 octobre 2016. Mais elle s'est sentie très mal accueillie à son arrivée à 6 heures 45 un jour d'octobre 2016, « victime des humeurs du présentateur vedette », si bien qu'elle a exprimé sa colère : « D’emblée il est odieux. Furieux qu’on ait osé désobéir, il aurait exigé qu’on ne vienne qu’à 7h30, il insiste haut et fort : il n’a rien demandé, on a omis de le prévenir, on lui pourrit la vie, on va lui faire rater son émission, qu’on dégage. Avec plaisir. Dans une vie de journaliste, il arrive parfois que l’on rencontre, c’est fatal, des gens désagréables. À ce point d’arrogance et de mépris, c’est plus que rare. Morale de l’histoire : quand on remplace les journalistes par des stars, on s’expose à ce genre de caprices. ».

     

     
     


    Ce qui n'a pas empêché la journaliste d'en dire aussi du bien (il faut dire que Matthieu Pigasse, actionnaire du "Monde", venait de racheter Radio Nova) : « On retrouve avec plaisir la voix de Baer, son ton décalé, ses improvisations bienvenues, son accueil chaleureux des participants. ». Et de terminer sur l'avis du nouveau patron : « Matthieu Pigasse se félicite de la réussite de la matinale et de l’idée de Bernard Zekri de faire appel à Édouard Baer, "tant Nova et Édouard se correspondent : les 3 C, Culture, Curiosité d’esprit, Carrefour d’échanges". "Elle incarne ce que nous voulons être et faire, précise-t-il : refuser le repli sur soi, être ouverts à tous, donner du sens et s’engager par la culture". ». Édouard Baer a quitté Radio Nova pour France Inter en 2018 (jusqu'en 2022, il me semble).

    Pour l'heure, Édouard Baer, qui avait un spectacle à Romans-sur-Isère le vendredi 24 mai 2024 à 20 heures (au théâtre des Cordeliers), l'a maintenu. Le problème qu'il n'y ait pas de dépôt de plainte, c'est de transférer cette affaire du tribunal correctionnel au tribunal médiatique, avec tous les excès que cela peut entraîner, notamment dans les réseaux (a)sociaux. Comme je ne sais que penser des accusatrices sincères et d'un supposé prédateur sexuel qui s'ignorerait et qui affirme que ce n'est pas du tout lui, et n'étant pas juge, je ne peux faire aucun commentaire de soutien aux unes ou à l'autre.
     

     
     


    En revanche, ce problème récurrent depuis quelques années (MeToo date de 2018) où des femmes (en général) accusent (parfois plusieurs décennies après les faits) une personnalité (généralement très connue) dans des milieux bien définis (cinéma, sports, médias audiovisuels, etc.) de divers faits allant du simple geste déplacé (voire maladroit) jusqu'au crime (le viol), en passant par des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel (qui sont des délits), est souvent insoluble quand il n'y a aucune preuve (car il faut que la victime prouve l'absence de consentement, ce qui est très difficile). Alors, c'est parole contre parole, et un juge, si cela arrive à la suite du dépôt d'une plainte, ne pourra pas condamner si le doute persiste (principe général du droit). D'un côté, il faut écouter les victimes, les femmes, ou du moins qu'elles soient écoutées, de l'autre, il ne faut pas détruire la réputation d'une personne qui serait injustement accusée (dans l'affaire d'Outreau, une personne injustement accusée s'est même suicidée). C'est du tout ou rien. Ou salaud, ou salopes, en quelque sorte.

    Un livre explique très bien ce problème. Il s'agit d'un roman d'une ancienne procureure américaine qui a fait non seulement des études de droit mais avant, des études de psychologie et qui s'est recyclée dans l'écriture de romans à succès. Alafair Burke a en effet publié en 2018 un très bon roman "Un Couple irréprochable" (en anglais "The Wife"), dont le sujet principal est cette accusation contre une personnalité médiatique.


    L'histoire est celle-ci, et racontée selon le point de vue de l'épouse (mère au foyer) d'un économiste qui, au-delà de donner des cours d'économie à l'université, a écrit un livre devenu best-seller, ce qui lui a donné gloire, fortune et notoriété (il a créé un cabinet de conseil en entreprises et il est invité très fréquemment à la télévision pour donner son avis). Et son expertise, c'est l'éthique dans les entreprises, et sa parole est d'or car il fait et défait des réputations d'entreprises auprès de leurs investisseurs. (L'homme accusé est un parangon de l'éthique, comme Édouard Baer considéré ouvert, sympa).

    Et puis soudain, une stagiaire l'accuse de gestes déplacés en déposant plainte. Plus tard, une autre femme avec qui il est en contact sur le plan professionnel l'accuse carrément de viol. L'affaire est suivie par une inspectrice de police spécialisée dans ce domaine (l'Unité spéciale des victimes). Il y a aussi la réaction du procureur adjoint qui ne veut poursuivre que lorsqu'il y a de fortes suspicions de culpabilité, d'autant plus que ce prévenu serait une personnalité célèbre. Comme l'auteure du roman est une spécialiste du droit, cela permet aussi de voir comment fonctionne la justice et la police (ici américaines) dans les coulisses face à une telle affaire. Interviennent aussi dans l'histoire une animatrice de télévision féministe (et amie de l'accusé), une avocate exigeante, etc.

    L'inspectrice, parce qu'elle est féministe, veut aller au plus profond des détails pour pincer l'éventuel auteur d'agressions sexuelles voire de viols. Elle admet d'ailleurs que pour la victime, il vaut mieux être violée de façon violente en pleine rue que subir des attouchements sexuels par des personnes familières dans un lieu privé, parce que ce sera beaucoup plus facile à prouver.

    La première des réactions, dans ce genre d'affaire (agression sexuelle voire viol), c'est de se focaliser sur la victime et pas sur le prédateur présumé. Et de trouver des éléments chez la victime que son infortune était la conséquence de sa vie et cela, pour se dire qu'on n'est pas comme la victime et donc, que ça ne peut pas arriver à soi : « N'est-ce pas dans la nature humaine que de toujours rejeter la faute sur la victime ? ».

    Et pourtant, parfois, les victimes ne disent pas exactement la vérité : « Impossible pour [les policiers] d'affirmer que les victimes ne racontent jamais toute la vérité, parce que cela reviendrait à les traiter de menteuses. Or, elles ne mentent pas, elles tentent de se protéger. Se préparent à affronter le scepticisme. Anticipent déjà toutes les attaques à venir, se forgent un bouclier. ».

    L'animatrice de télévision donne aussi les différentes étapes dans ce genre d'affaire : « La première réaction de l'opinion publique, c'est toujours de jeter le discrédit sur la femme, parce que la société ne veut pas admettre que de telles horreurs se produisent. Alors, en réaction, les féministes convaincues ont décrété qu'il fallait croire toutes les femmes, chaque fois. ».

    Féministe, l'animatrice est d'accord avec cette réaction : « C'est vrai, a-t-elle admis, je suis toujours la première à défendre les femmes dans les cas d'agression sexuelle où tout repose sur la parole de l'un contre celle de l'autre. Parce que, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, elles disent la vérité, et que c'est une terrible épreuve pour elles d'en parler. Elles se retrouvent jugées, stigmatisées, blâmées, critiquées. ».

    Et dans une affaire de viol, cela retombe toujours sur la même question : « Quelles que soient les allégations de cette fille, ce sera sa parole contre celle de [l'accusé]. Or l'accusation a besoin d'éléments concrets. Et même s'il peut s'appuyer sur l'ADN, le procureur doit démontrer que la relation n'était pas consentie. ».

    Mais justement, des petits détails peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre pour la police. Ainsi, dans ce roman, la policière va voir de façon informelle l'accusé qui ne sait pas encore qu'il est aussi accusé de viol par une seconde femme (il est juste accusé de harcèlement sexuel par une première femme). La policière lui demande alors s'il a eu des relations sexuelles avec cette seconde femme et ce dernier, au lieu de refuser de répondre sans son avocat, fait l'erreur de dire qu'il n'a pas eu de relations sexuelles, sans savoir que la seconde femme avait gardé intacte sa robe avec des traces de lui. Avoir des relations sexuelles ne confirme pas forcément le viol, car ces relations peuvent être consenties, mais mentir sur la réalité des rapports sexuels (même pour éviter d'en informer son épouse), c'est jeter un discrédit sur tout ce qu'il va affirmer.

    A contrario, la policière garde aussi des détails sur l'accusatrice qui lui demande une heure avant de passer chez elle, le temps de faire un peu de ménage : « [La policière] venait déjà de découvrir quelque chose à propos de [l'accusatrice] : c'était le genre de personne qui pensait à remettre de l'ordre chez elle avant de recevoir un policier pour dénoncer des actes de harcèlement sexuel. En soi, ça ne signifiait rien, pourtant [l'inspectrice] remisa soigneusement ce détail dans un coin de sa tête, parce qu'elle aimait à penser que rien ne lui échappait. ».

    Bref, ce roman est très intéressant pour comprendre la mécanique des accusations, des défenses et des jugements. Plus rien de mal ne doit rester impuni. Mais reste à se mettre d'accord sur ce qui est mal, sur ce qui est un mauvais comportement, un comportement inapproprié. L'homme est décidément détrôné, dans cette société qui se transforme à vive allure.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    "Un Couple irréprochable" (2018) d'Alafair Burke.
    Édouard Baer.
    Lucien Neuwirth.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240523-un-couple-irreprochable.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/27/article-sr-20240523-un-couple-irreprochable.html




     

  • Patrick Bruel, on s'était dit rendez-vous dans quarante ans...

    « Qu'est-ce que j'ai fais de ces années ?
    J'ai pas flotté tranquille sur l'eau,
    Je n'ai pas nagé le vent dans le dos.
    Dernière ligne droite, la rue Soufflot »



     

     
     


    Le chanteur Patrick Bruel fête ses 65 ans ce mardi 14 mai 2024. J'écris chanteur pour préciser auteur compositeur interprète, car c'est son activité principale, mais il est aussi acteur, comme souvent dans le métier, et ses deux carrières se sont développées à peu près en même temps, parallèlement, avec plus ou moins de succès. Bruel est son nom de scène, car dans le civil, il était Maurice Benguigui à sa naissance, ce qui n'avait pas échappé à Jean-Marie Le Pen qui en parlait à propos de la "prochaine fournée". Bruel, il a trouvé ce nom parce qu'il adorait Jacques Brel. Depuis 1982, le chanteur a sorti vingt-cinq albums et trente singles.

    Bruel, c'est le mec sympa. Enfin, je ne le connais pas, mais il apparaît comme un mec sympa, toujours le cœur sur la main, et même dans les films, il est souvent le genre d'homme qui prend tout pour lui, qui contrôle la situation, qui veut le bien de l'autre, qui gagne aussi bien sa vie... Figure d'autorité très lisse et sympa. Ça peut être trompeur dans ses rôles. Ah c'est sûr, je préfère nettement le Patrick Bruel acteur au Patrick Bruel chanteur, même si je ne doute pas un instant qu'il est d'abord chanteur (au point d'avoir engendré une véritable bruelmania dans les années 1990, heureusement, qui semble s'être étiolée de nos jours). Il m'excusera (de ce qui va suivre) mais sa chanson "Casser la voix" est absolument infernale. Elle casse aussi les oreilles pour ne pas dire autre chose (sinon, j'aime bien les autres).


    C'est en 1978 que Patrick Bruel a commencé sa carrière cinématographique avec Alexandre Arcady. Cinéma et théâtre avant la scène et le studio d'enregistrement pour chanter. Et puis en 1984, il y a quarante ans, il a crevé l'écran... enfin, non, les hauts-parleurs avec sa chanson "Marre de cette nana-là". Sa carrière de star était ainsi lancée. Ah mais si, l'écran aussi. La même année, c'était aussi sa participation dans le film "P.R.O.F.S." de Patrick Schulmann (sorti le 18 septembre 1985) : Patrick Bruel est le prof de français, Fabrice Luchini le prof d'arts plastiques, Laurent Gamelon le prof de gym, Christophe Bourseiller le documentaliste, Guy Montagné le prof de maths, Isabelle Mergault la prof de sci-nat, etc. 1989, nouvelle étape chansons et cinéma. Chansons : de nouveaux tubes ("Alors regarde", "Place des grands hommes", etc.), et au cinéma, des films marquants (ou remarqués au moins) : "L'Union sacrée" d'Alexandre Arcady (sorti le 15 mars 1989) avec Richard Berry, Bruno Cremer, Marthe Villalonga et Claude Brasseur, et "Force majeure" de Pierre Jolivet (sorti le 5 avril 1989) avec François Cluzet et Kristin Scott Thomas.
     

     
     


    Et la star a pu s'éclater dans ses deux passions, au point d'avoir une Victoire de la musique 1992 (et douze autres nominations) ainsi qu'une nomination au César du meilleur acteur pour "Le Prénom", un excellent film d'Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte (sorti le 25 avril 2012), adaptation d'une pièce de théâtre, avec Charles Berling, Guillaume de Tonquédec, Valérie Benguigui, Françoise Fabian et Judith El Zein.

    Oui, je le préfère en acteur parce qu'il assure toujours avec ses rôles. Il a une présence incontestable, il a ce qu'on appelle du charisme. Il est avocat, médecin réputé, cadre supérieur (« qui tente de manipuler tout le monde avec l’espièglerie et l’arrogance de celui à qui rien ne résiste, en apparence… » selon le compte-rendu bien léché d'une médiathèque, celle de Montceau-les-Mines), joueur de poker endetté...

    Citons notamment les films suivants : "Le Jaguar" de Francis Veber (sorti le 9 octobre 1996) avec Jean Reno, Roland Blanche, François Perrot, Edgar Givry, etc., "L'ivresse du pouvoir" de Claude Chabrol (sorti le 22 février 2006) avec Isabelle Huppert, François Berléand, Marilyne Canto, Jean-François Balmer, Robin Renucci, Pierre Vernier, Roger Dumas, etc., "Le code à changé" de Danièle Thompson (sorti le 18 février 2009) avec Karin Viard, Marina Foïs, Dany Boon, Emmanuelle Seigner, Patrick Chesnais, Pierre Arditi, Laurent Stocker, etc., et "Les yeux jaunes des crocodiles" de Cécile Telerman (sorti le 9 avril 2014), adapté d'un roman de Katherine Pancol, avec Emmanuelle Béart, Julie Depardieu, Alice Isaaz, Édith Scob et Jacques Weber.

    Je retiendrai en option deux films qui ont été récemment rediffusés par la télévision TNT et qui sortent un peu de l'ordinaire bruélien. "Le Secret" de Claude Miller (sorti le 3 octobre 2007) avec Cécile de France, Ludivine Sagnier, Julie Depardieu et Mathieu Amalric : Patrick Bruel est un lutteur juif sous l'Occupation nazie et sa femme s'est laissé arrêter (et déporter et assassiner) avec son fils par les nazis par désespoir amoureux (son mari Bruel en aime une autre). "Villa Caprice" de Bernard Stora (sorti le 2 juin 2021) avec Niels Arestrup, Irène Jacob, Laurent Stocker et Eva Darlan : Patrick Bruel est un grand patron du CAC40 bien puant qui a été incarcéré par un juge zélé et son avocat (Niels Arestup), très célèbre, réussit à l'en sortir (l'un des derniers rôles du succulent Michel Bouquet, celui du père agonisant de l'avocat, il avait 93 ans au tournage).

    J'ajoute aussi la participation de Patrick Bruel à l'excellente série télévisée "Fais pas ci, fais pas ça" (dans deux épisodes) où il joue non pas son propre rôle mais le rôle de son propre sosie... qui joue au poker. Un rôle qui montre un évident sens de l'autodérision. Et effectivement, dans la vie réelle, Patrick Bruel est un grand joueur de poker, qui a gagné plus d'un million et demi d'euros de gains cumulés lors de tournois, bien classé dans les championnats internationaux depuis 1998. Il est même un des quatre associés du site Winamax. On ne s'étonne donc pas qu'il soit un joueur de poker dans "Le Jaguar".


    Pour l'anecdote, énonçons enfin qu'Élie Semoun est son cousin au second degré (arrière-grands-parents communs). Mais revenons quand même à son cœur de métier, la chanson, dont voici les principaux "tubes" qui l'ont fait connaître et qui en ont fait une véritable "star" !...


    1. "Marre de cette nana-là" (1984)






    2. "Comment ça va pour vous ?" (1985)






    3. "Casser la voix" (1989)






    4. "J'te l'dis quand même" (1989)






    5. "Alors regarde" (1989)






    6. "Place des grands hommes" (1989)






    7. "Combien de murs..." (1994)





    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (12 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Patrick Bruel.
    Eden Golan.
    ABBA.
    Toomaj Salehi.
    Sophia Aram.
    Fanny Ardant.
    Alain Bashung.
    Alain Chamfort.
    Micheline Presle.
    Plastic Bertrand.
    Jacques Dutronc.

    Françoise Hardy.
    Guy Marchand.
    Maria Callas.
    Catherine Deneuve.
    Gérard Depardieu.
    Stéphanie de Monaco.
    Jane Birkin.
    Fernand Raynaud.
    Marcel Zanini.
    Patricia Kaas.
    Kim Wilde.

     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240514-patrick-bruel.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/patrick-bruel-on-s-etait-dit-254350

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/13/article-sr-20240514-patrick-bruel.html



     

  • Paul Auster : tout livre est l'image d'une solitude !

    « Oui, il est possible que nous ne grandissions pas, que même en vieillissant, nous restions les enfants que nous avons été. Nous nous souvenons de nous-mêmes tels que nous étions alors, et ne nous sentons pas différents. C'est nous qui nous sommes faits tels que nous sommes aujourd'hui et, en dépit des années, nous demeurons ce que nous étions. À nos propres yeux, nous ne changeons pas. Le temps nous fait vieillir, mais nous ne changeons pas. » ("L'Invention de la solitude", 1982).


     

     
     


    Saleté de crabe. L'écrivain américain Paul Auster est mort chez lui, à New York, ce mardi 30 avril 2024, dans la soirée, selon le "New York Times", à l'âge de 77 ans (il est né le 3 février 1947 à Newark). À cette triste annonce, de nombreux Français (dont moi) ont ressenti une forte peine et émotion pour cette perte infinie. Ce n'était pas étonnant : Paul Auster nous l'avait bien rendu ; depuis son premier séjour en 1965, il adorait la France et les Français (grand copain de l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe), et il adorait la ville de Paris (dont il a reçu la médaille grand vermeille des mains de Bertrand Delanoë le 10 juin 2010), qui était son second New York. Il s'exprimait très correctement en français. Grand écrivain indissociablement lié à Brooklyn, il n'aurait pas démérité s'il avait reçu le Prix Nobel de Littérature.

    Pour Isabelle Hanne de "Libération", il était une « figure majeure des lettres américaines, maître du storytelling, adulé des lecteurs européens, adepte de constructions narratives complexes, ambiguës ou onirique dans lesquelles il mettait en scène ses fantômes ». Pour Denis Cosnard du journal "Le Monde" : « Romancier, mais aussi poète, traducteur, critique, essayiste et scénariste, [il] avait noirci des milliers de pages, jusqu’à devenir un immense écrivain américain. L’un des plus brillants de sa génération, le plus francophile aussi. Un orfèvre dans l’art du récit, plongeant dans son enfance, son histoire, ce qu’il appelait sa "zone intérieure", pour nourrir des textes romanesques, autobiographiques ou même politiques d’une intelligence et d’une sensibilité extrêmes. Il savait retracer comme nul autre la vie de ses personnages ou la sienne dans toute leur amplitude, leurs contradictions, leurs sinuosités, leurs bifurcations liées parfois à d’apparents hasards. ».

    Paul Auster aimait la vie et ne craignait pas la mort. Interviewé par Christine Simeone pour France Inter en février 2013, il disait : « Dans toute ma vie, j'ai perdu beaucoup de personnes. Je n'arrive pas à pleurer. Je pleure pour d'autres raisons, ce n'est pas que je ne pleure jamais. Mais en face de la mort, quelque chose en moi résiste. La grande émotion, peut-être que ce n'est pas peur de la mort, mais peur de me laisser trop aller. ». Et de poursuivre : « Il faut mourir aimable si on le peut. (…) Si on le peut, entre parenthèses, et ces parenthèses sont très émouvantes pour moi. Si on le peut, parce qu'on ne sait pas si c'est possible. Parfois, on est trop malade pour être aimable. Mais c'est une grande victoire si on peut arriver à la fin aimable, n'est-ce pas ? ».

    Pas sûr qu'il ait été aimable à la fin car la maladie était rude, et même avant, l'écrivain a connu bien des horreurs, comme son fils mort le 26 avril 2022 d'une overdose à l'héroïne, lui-même accusé d'homicide involontaire parce que sa fille de 10 mois est morte d'une intoxication à l'héroïne. Double malheur. À peu près ce qui peut arriver de pire pour un parent. Il est allé les rejoindre. Déjà à 14 ans, il avait connu la tragédie : dans une colonie de vacances, un garçon près de lui est mort tué par la foudre. Cela l'a profondément marqué à un âge fondateur.

    J'ai découvert Paul Auster un peu par hasard il y a un peu plus d'une trentaine d'années dans une librairie, j'étais tombé sur "L'Invention de la solitude" (sorti en 1982 ; j'ai su par la suite que c'était son premier livre édité) et j'ai été tout de suite séduit par le style, le sujet, la manière de s'exprimer, la manière de rentrer dans son monde de New York. J'ai adoré sa manière d'apporter sur le papier des réflexions très profondes sur la vie. Son récit autobiographique comporte deux parties, "Portrait d'un homme invisible", la mort de son père, et "Le Livre de la mémoire", qui traite de divers sujets comme le destin et le hasard. Avec ce livre, j'ai compris que Paul Auster était un très grand écrivain, une sorte d'Albert Camus américain.

    Selon Pascal Bruckner, c'est le livre fondateur de l'œuvre de Paul Auster, avec cette caractéristique : « Paul Auster est devenu écrivain parce que son père, en mourant, lui a laissé un petit héritage qui l'a soustrait à la misère. Le décès du père n'a pas seulement libéré l'écriture, il a littéralement sauvé la vie du fils. Celui-ci n'en finira jamais de payer sa dette et de rembourser en bonne prose le terrifiant cadeau du trépassé. ». À l'origine, Paul Auster traduisait des auteurs français (Stéphane Mallarmé, Jean-Paul Sartre, Georges Simenon, etc.) avant de se consacrer totalement à son œuvre littéraire, et à la réalisation de quelques films au cinéma (à partir des années 1990, quatre films : "Smoke" et "Brooklyn Boogie" en 1995, "Lulu on the Bridge" en 1998 et "La vie intérieure de Martin Frost" en 2006).

    Dans ce premier livre, Paul Auster évoquait par conséquent son père : « De son vivant déjà, il était absent, et ses proches avaient appris depuis longtemps à accepter cette absence, à y avoir une manifestation fondamentale de son être. ». Et il s'invitait ensuite à une réflexion miroir sur ses relations avec ...son propre fils (celui qui est mort il y a deux ans), prenant à son tour le rôle du père.


    Son père : « Que je réussisse ou non ne comptait guère pour lui. J'existais pour lui en fonction de ce que j'étais, non de ce que je faisais, et cela signifiait que jamais la perception qu'il avait de moi ne changerait, nos rapports étaient déterminés de façon inaltérable, nous étions séparés l'un de l'autre par un mur. Je comprenais surtout que tout cela n'avait pas grand-chose à voir avec moi. Lui seul était en cause. Comme tous les éléments de son existence, il ne me voyait qu'à travers les brumes de sa solitude, à grande distance. L'univers était pour lui, à mon avis, un lieu éloigné où jamais il ne pénétrait pour de bon, et c'est là-bas, dans le lointain, parmi les ombres qui flottaient devant lui, que j'étais né et devenu son fils, que j'avais grandi, apparaissant et disparaissant comme une ombre de plus dans la pénombre de sa conscience. ».

    Le boulot : « Travail était le nom du pays qu'il habitait, dont il était l'un des plus fervents patriotes. ».

    Brièveté du passage sur Terre : « Trois jours avant sa mort, mon père avait acheté une nouvelle voiture. Il ne l'a conduite qu'une fois ou deux, et quand je suis rentré chez lui après les funérailles, je l'ai trouvé dans le garage, inanimée, déjà éteinte, comme une énorme créature mort-née. Un peu plus tard dans la journée, je suis descendu au garage pour être seul un moment. Assis derrière le volant de cette voiture, j'en respirais l'étrange odeur de mécanique neuve. Le compteur indiquait soixante-sept miles. Il se trouve que c’était aussi l’âge de mon père : soixante-sept ans. Une telle brièveté m’a donné la nausée. Comme si c’était la distance entre la vie et la mort. Un tout petit voyage, à peine plus long que d’ici à la ville voisine. ». Lui aura parcouru 77 miles.
     

     
     


    Le deuil, c'est aussi ceci : « J'ai appris qu'il n'est rien de plus terrible que la confrontation avec les effets personnels d'un mort. Les choses sont inertes. Elles n'ont de signification qu'en fonction de celui qui les utilise. La disparition advenue, les objets, même s'ils demeurent, sont différents. Ils sont là sans y être, fantômes tangibles, condamnés à survivre dans un monde où ils n'ont plus leur place. ».

    Il y parlait beaucoup de solitude : « Il est impossible, je m'en rends compte, de pénétrer la solitude d'autrui. Si nous arrivons jamais, si peu que ce soit, à connaître un de nos semblables, c'est seulement dans la mesure où il est disposé à se laisser découvrir. ».

    Également de son métier d'écrivain : « Mon besoin d’écrire était si grand que je voyais l’histoire se rédiger d’elle-même. Mais jusqu’ici les mots arrivent très lentement. Même les meilleurs jours je n’ai pas réussi à faire plus d’une ou deux pages. Comme si j’étais en butte à une malédiction, à une défaillance de l’esprit, qui m’empêchent de me concentrer. (…) Je n’avais encore jamais eu autant conscience du fossé qui sépare la pensée de l’écriture. ».

    La solitude de l'écrivain : « Tout livre est l’image d’une solitude. C’est un objet tangible, qu’on ramasser, déposer, ouvrir et fermer, et les mots qui le composent représentent plusieurs mois, sinon plusieurs années de la solitude d’un homme, de sort qu’à chaque mot lu dans un livre, on peut se dire confronté à cette solitude. Un homme écrit, assis seul dans une chambre. Que le livre parle de solitude ou de camaraderie, il est nécessairement un produit de la solitude. ».

    Procréation au point de philosopher de manière approfondie : « Chaque éjaculation représente plusieurs milliards de spermatozoïdes, soit à peu près le chiffre de la population du globe, ce qui signifie que chaque homme contient en lui-même cette population en puissance. Et cela donnerait, si cela se réalisait, toute la gamme des possibilités : une progéniture d’idiots et de génies, d’êtres beaux ou difformes, de saints, de catatoniques, de voleurs, d’agents de change et de funambules. Tout homme est donc un univers, porteur dans ses gènes de la mémoire de l’humanité entière. Ou, selon l’expression de Leibniz : “Chaque substance simple est un miroir vivant perpétuel de l’univers”. Car en vérité nous sommes faits de la matière même qui a été créée lors de la première explosion de la première étincelle dans le vide infini de l’espace. C’est ce qu’il se disait, à cet instant, tandis que son pénis explosait dans la bouche d’une femme nue dont il a oublié le nom. Il pensait : L’irréductible monade. Et alors, comme s’il saisissait enfin, il a imaginé la cellule microscopique, furtive, qui s’était frayé un chemin dans le corps de sa femme, quelque trois ans plus tôt pour devenir son fils. ». C'est comme l'ADN, la partie et le tout, l'organe et le corps entier.

    La mémoire : « Pour qu’un homme soit réellement présent au milieu de son entourage, il faut qu’il ne pense pas à lui-même mais à ce qu’il voit. Pour être là, il faut qu’il s’oublie. Et de cet oubli naît le pouvoir de la mémoire. C’est une façon de vivre son existence sans jamais rien en perdre. ». Illustration : « Sa vie ne semblait plus se dérouler dans le présent. Quand il ouvrait la radio pour écouter les nouvelles du monde, il se surprenait à les entendre comme les descriptions d'événements survenus depuis longtemps. Cette actualité dans laquelle il se trouvait, il avait l'impression de l'observer depuis le futur, et ce présent-passé était si dépassé que même les atrocités du jour, qui normalement l'auraient rempli d'indignation, lui paraissaient lointaines, comme si cette voix sur les ondes avait lu la chronique d'une civilisation perdue. ».
     

     
     


    Après ce premier livre, Paul Auster a vite gagné en notoriété. Sa trilogie new-yorkaise est sortie en 1985 et 1986 ("Cité de verre", "Revenants" et "La Chambre dérobée"). Parmi ses autres livres : "Moon Palace" (1989), "Léviathan" (1992), "Mr Vertigo" (1994), "Le Livre des illusions" (2002), "Seul dans le noir" (2008)... en tout, quarante-six ouvrages, des romans, des nouvelles, des récits, mais aussi des essais, une pièce de théâtre, des recueils de poésie, des scénarios de film, etc.

    Ses deux derniers romans sont "4 3 2 1" (1 000 pages, en 2017) et "Baumgartner" (en 2023), sans compter une biographie de Stephen Crane (800 pages, en 2021) et un essai sur les armes à feu "Pays de sang : une histoire de la violence par arme à feu aux États-Unis" (début 2023) : « Aucun autre pays dit avancé au monde n’est comparable à l’Amérique en termes de nombre. Mais les Américains, à mesure que le temps passe, se tournent de moins en moins vers les pays étrangers pour trouver l’inspiration sur la manière d’agir. Nous sommes tellement suffisants. Nous avons un tel sentiment de supériorité par rapport au reste du monde. Même les choses les plus stupides que nous faisons sont considérées comme bonnes parce qu’elles sont américaines, soulignées six fois. (…) C'est l’un des plus grands échecs de notre culture et aussi emblématique des types de pensées erronées qui nous ont animés au cours des dernières décennies. ».

    Interrogé par Benjamin Locoge pour "Paris Match" à la sortie de la traduction française de "4 3 2 1", Paul Auster a affirmé le 20 mars 2018 : « Le désir d’être artiste est une maladie qu’on attrape jeune et dont on ne guérit jamais. Tous les artistes sont des personnes blessées. Mais, dans mon cas, je ne sais toujours pas quelle est la blessure initiale. Et c’est ce qui rend mon travail intéressant ; je cherche encore. Écrivain, c’est avoir un goût pour la solitude. On marche sur un fil très fin entre l’arrogance et le doute. Il faut estimer que ce que vous faites vaut le coup, même si tout le monde est contre vous. Et cela peut engendrer beaucoup de désillusions. Vous avez besoin de cette foi en vous, pleine de contradictions, qui vous permet d’avancer. ».


    Et de préciser pour l'avenir : « Si je meurs demain, je laisse beaucoup de choses. Mais je sais que j’ai encore de nombreux livres à écrire et j’espère que la vie me le permettra. J’ai deux idées pour des romans que je ne veux pas commencer tout de suite. Je dois d’abord sortir de “4321” que j’ai défendu dans quinze pays pendant un an. Les prochaines années devront être consacrées au travail. Dans mon cas, j’ai encore l’ambition de faire quelque chose de valable. Je n’écris pas pour la reconnaissance. ».

    Hélas, l'avenir n'était pas comme il l'entendait. Il aura eu le temps d'en achever au moins un, parmi les romans encore en préparation, "Baumgartner", du nom du héros qui vient de perdre sa femme dans un accident (de natation) : « La vie est dangereuse (…), et tout peut nous arriver à tout moment. Vous le savez, je le sais, tout le monde le sait, et s’il y en a qui ne le savent pas, c’est qu’ils ne font pas attention, et si on ne fait pas attention, on n’est pas complètement en vie. ». Il lui faisait dire aussi ceci : « Vivre, c'est éprouver de la douleur, se dit-il, et vivre dans la peur de la douleur, c'est refuser de vivre. ». Dans ce livre, il a parlé d'embolie pulmonaire : « Un caillot massif remonte dans la jambe pour envahir le poumon gauche, et une minute plus tard, on n’est plus qu’une particule de poussière cosmique. ». Et aussi du souvenir : « Plus que ça, dit Baumgartner, je t'écrirai aussi chaque jour. Et tu as intérêt à me répondre sinon… Sinon quoi ? Je te virerai de mes rêves. ».

    Le 18 novembre 2023, Paul Auster a confié à Nicholas Wroe, pour "The Guardian", sa terrible maladie. Le diagnostic a eu lieu à la fin de l'année 2022 après quelques errements (on pensait alors à une pneumonie, puis au covid long, avant finalement de détecter le cancer du poumon). Son épouse l'a annoncé publiquement en mars 2023. Chimiothérapie et immunothérapie.
     

     
     


    "The Guardian" a narré la discussion avec le grand écrivain : « "Et depuis, le traitement est acharné et je n’ai vraiment pas travaillé. J’ai traversé des rigueurs qui ont produit des miracles et aussi de grandes difficultés". Quant à Cancerland, il dit qu'il n'y a pas de carte routière et aucune idée si votre passeport est valide pour en sortir. "Il y a cependant un guide qui nous contacte dès le début. Il vérifie qu’il a bien prononcé son nom, puis dit : 'Je viens de la police du cancer. Vous devez me suivre'. Alors, que faites-vous ? Vous dites : 'Très bien'. Vous n’avez pas vraiment le choix, car il dit que si vous refusez de le suivre, il vous tuera. J’ai dit : 'Je préfère vivre. Emmène-moi où tu veux'. Et depuis, je suis cette route". ». La manière de raconter la thérapie montre tout le génie littéraire de Paul Auster, utilisant à la fois le monde imaginaire et le monde réel.

    Paul Auster a rappelé le mécanisme du deuil : « Quand quelqu’un qui est au cœur de votre vie meurt, une partie de vous meurt également. Ce n’est pas simple, on ne s’en remet jamais. On apprend à vivre avec, je suppose. Mais quelque chose vous a été arraché et je voulais explorer tout cela. Dans "Baumgartner", Sy réfléchit longuement sur le syndrome du membre fantôme, se décrivant comme "un moignon humain" et pourtant les "membres manquants sont toujours là, et ils font toujours mal, tellement mal qu'il a parfois l'impression que son corps est sur le point de rattraper son retard". Incendiez-le et consumez-le sur-le-champ. ».

    En période électorale, Paul Auster s'est aussi invité au débat politique. Il a refusé d'affronter directement Donald Trump élu en 2016, même s'il en a fait quelques allusions (« l'Ubu dérangé de la Maison-Blanche »), et il a évoqué Joe Biden en termes très élogieux : « Ce n'était certainement pas mon premier choix pour 2020. Mais il m'a énormément surpris. Je pense qu’il a été assez extraordinaire. Et peut-être qu’au cours de ces quelques années, il a été l’un des meilleurs Présidents dont je me souvienne au cours de ma vie. Il comprend que le gouvernement a un rôle important à jouer dans notre santé mentale, morale et économique. Que les programmes qu’il a proposés constituent une avancée par rapport à ce que nous avons obtenu au cours des quarante ou cinquante dernières années. [Alors que la droite tente de dépeindre Biden comme] une sorte de vieil homme gâteux et incompétent, c’est loin d’être la vérité. Il est parfaitement capable et en sait plus sur le gouvernement que n’importe qui à Washington. Il a fait des erreurs, nous le savons tous, mais ce n’est pas un mauvais choix pour le moment et je ne vois personne de meilleur que lui aujourd’hui. Je prie donc pour qu’il parvienne à passer l’année prochaine, car cela va être une élection très, très serrée et incompréhensiblement étrange. Et nous ne pouvons même pas commencer à prédire comment se comportera l’autre camp s’il n’obtient pas la victoire. » (18 novembre 2023).

    "Baumgartner" est son dernier ouvrage : « Je sens que ma santé est suffisamment précaire pour que ce soit peut-être la dernière chose que j'écrive. Et si c’est la fin, alors sortir avec cette sorte de gentillesse humaine qui m’entoure en tant qu’écrivain dans mes cercles d’amis, eh bien, ça vaut déjà le coup. ». Il nous laisse surtout l'émotion du départ. Et la triste certitude qu'il n'écrira plus d'autres livres. RIP.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (01er mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Paul Auster.
    Christine Ockrent.
    Dominique Baudis.
    Racine.
    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.











    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240430-paul-auster.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/paul-auster-tout-livre-est-l-image-254446

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/02/article-sr-20240430-paul-auster.html