Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

langue française

  • Libérez Boualem Sansal !

    « Il faut en finir avec ces bêtes immondes, avec ces barbares des temps obscurs, ces porteurs de ténèbres, oublier les serments pleins d'orgueil et de morgue qu'ils ont réussi à nous extorquer au sortir de ces années de guerre. La lumière n'est pas avec eux et les lendemains ne chantent jamais que pour les hommes libres. » (Boualem Sansal, le 25 août 1999).


     

     
     


    C'est le journal "Marianne" qui a donné l'alerte dans son édition du 21 novembre 2024 : l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal aurait "disparu" lorsqu'il est rentré en Algérie le 16 novembre 2024. Il aurait été arrêté par la police algérienne à l'aéroport d'Alger pour "atteinte à l'unité nationale" et serait ainsi enfermé dans une prison algérienne. Selon ces journalistes, on reprocherait à Boualem Sansal ses propos tenus le 14 novembre 2024 (écouter la première vidéo ci-dessous) : « Quand la France a colonisé l'Algérie, toute la partie ouest de l'Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu'à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. ». Crime de lèse-mythe !

    Cette arrestation est d'autant plus scandaleuse que l'écrivain vient d'avoir 75 ans le mois dernier. Rappelons très rapidement qui il est : après de brillantes études et un doctorat en économie, Boualem Sansal a travaillé comme haut fonctionnaire de son pays ainsi qu'un universitaire, et il est devenu un romancier à succès à partir du 25 août 1999 avec la sortie de son premier roman "Le Serment des barbares" (éd. Gallimard), début d'une longue série d'ouvrages qui ont reçu de très nombreuses récompenses (dont le Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015). Parmi ses livres (une quarantaine dont certains en coécriture, notamment avec Philippe Val), on peut notamment citer quatre romans, "Le Village de l'Allemand ou Le Journal des frères Schiller" (éd. Gallimard, 3 janvier 2008), où il fait l'analogie entre islamisme et nazisme, "2084 : la fin du monde" (éd. Gallimard, 20 août 2015), "Le Train d'Erlingen ou La Métamorphose de Dieu" (éd. Gallimard, juin 2018), "Vivre : le compte à rebours" (éd. Gallimard, 2024), ainsi qu'un essai, "Le français, parlons-en !" (éd. du Cerf, 2024).

    Homme terriblement libre, le George Orwell algérien, Boualem Sansal ne mâche jamais ses mots et est très franc, ce qui fait qu'il ne se fait pas que des amis (la preuve avec son arrestation). Il affirmait notamment, le 23 octobre 2018 sur France Culture : « Pour les bien-pensants, critiquer l'islamisme, c'est critiquer l'islam. ». Il a sorti "2084" quelques mois après la sortie de "Soumission", le roman de Michel Houellebecq qui, finalement, évoque la même chose : l'arrivée au pouvoir des islamistes.

     
     


    Cela a fait de lui un intellectuel solide et surtout indépendant, ce qui est finalement assez rare aujourd'hui. Il n'est pas à l'abri de déclencher des polémiques, comme lorsqu'il défendait le 25 décembre 2023 la présomption d'innocence de Gérard Depardieu (ce qui, d'ailleurs, me paraissait sage). Amoureux de la langue française (il n'écrit que dans cette langue), l'écrivain algérien a obtenu la nationalité française cette année, en 2024, afin de s'installer en France où sa femme (ancienne professeure de mathématiques à Boumerdès), très malade, est hospitalisée.

    Le pessimisme de l'auteur franco-algérien paraît très fort lorsqu'il a lâché, le 4 septembre 2015, envisageant une dictature mondialisée des islamistes : « Dans cinquante ans, il n'y aura plus de pétrole et le problème de la répartition des richesses sera encore accru. Il faudra mettre en place un système encore plus coercitif. Une dictature planétaire, non plus laïque mais religieuse, pourrait alors se substituer au système actuel qui devient trop compliqué à cause de la raréfaction des ressources. ».

    C'est un grand intellectuel qui a beaucoup d'influence parce qu'ils sont peu nombreux, en Algérie (et en France), à critiquer autant le pouvoir autocratique algérien. Boualem Sansal est un athée qui s'attaque principalement à l'islamisme, mais aussi aux mythes d'une Algérie qui, selon lui, n'a historiquement jamais vraiment existé. Il adore la France, mais, semble-t-il, la France d'il y a cinquante ans, et il regrette la dilution de l'identité française dans l'idée européenne et plus généralement dans un "Occident" uniformisé : « J'étais partout et nulle part, tout se ressemble, le tsunami de la mondialisation a gommé nos héritages, effacé nos traits intimes, on ne reconnaît ni les siens ni les autres. » ("Le Village de l'Allemand").

    Le vrai scandale est que Boualem Sansal est désormais en prison pour avoir prononcé quelques phrases auxquelles le pouvoir algérien s'opposerait, comme si le débat des idées devait se faire en prison et pas dans les médias. Un scandale annexe en France est que les milieux politico-médiatiques de gauche ont généralement du mal à s'émouvoir de cette arrestation arbitraire sous prétexte qu'il ne développerait pas des idées "conformes" à leurs vues.

    Personnellement, j'apprécie la position de Boualem Sansal sur l'islamisme et le risque d'une islamisation en France (ce qui le classerait faussement dans le camp de l'extrême droite alors que la menace islamiste n'est plus à prouver depuis l'assassinat d'enfants en bas âge juifs en mars 2012). En revanche, je ne suis pas du tout d'accord avec son déclinisme nostalgique de la France et des critiques qu'il émet contre Emmanuel Macron, que je trouve injustes car certaines évolutions de la France ne sont évidemment pas de son fait (loin de là) et même parfois il tente de s'y opposer (c'est d'ailleurs à se demander si cet antimacronisme primaire n'était pas une commande de la revue supposée s'appeler "Front populaire", tant les idées exprimées dans son interview d'octobre 2024 me paraissaient très simplistes alors qu'en même temps, il a une réflexion solide sur d'autres sujets). Du reste, j'espère très vivement que le Président de la République Emmanuel Macron, autrement que par un tweet, prendra des mesures diplomatiques pour réclamer efficacement la libération immédiate de Boualem Sansal.

     
     


    Je propose ici, par deux voies, de l'écouter (je propose six vidéos en fin d'article où il a le temps de développer ses idées) et de le lire pour comprendre la pensée qu'il exprime, au moyen de quelques extraits sur des sujets importants.

    Sur le mythe fondateur de l'Algérie : « Je suis un iconoclaste qui dénonce les mensonges de la guerre de libération. J'ose toucher à un mythe fondateur, mais un mythe est fait pour être discuté. L'Algérie a été construite par la France dont elle porte les valeurs du XIXe. Alger est une ville squattée. Ils sont loin d'avoir trouvé les clés. Aujourd'hui, elle tourne le dos à la Méditerranée en regardant vers l'Iran et les pays arabes. Chez nous [en Algérie], les politiques s'expriment comme des imams ténébreux. La France est le centre du monde par son immense culture et sa liberté. C'est le pays de l'équilibre par excellence. La liberté est une notion riche et profonde en Occident. Ici, en guise de liberté, c'est le foutoir, l'apostrophe, l'insulte et la bagarre de rues. » ("Le Serment des barbares", 1999).

     
     


    Sur le pouvoir politique en Algérie : « Reconstituer un monde disparu est toujours à la fois une façon de l'idéaliser et une façon de le détruire une deuxième fois puisque nous le sortons de son contexte pour le planter dans un autre et ainsi nous le figeons dans l'immobilité et le silence ou nous lui faisons dire et faire ce qu'il n'a peut-être ni dit ni fait. Le visiter dans ces conditions, c'est comme regarder le cadavre d'un homme. » ("2084 : la fin du monde", 2015).

    Sur Abdelaziz Bouteflika : « Bouteflika est un autocrate de la pire espèce (…). C'est pourtant lui que les grandes démocraties occidentales soutiennent et à leur tête la France de Sarkozy. (…) Je pense souvent à l'exil mais où, chez Bush, chez Sarkozy ? Remplacer un malheur par un autre n'est pas ce qu'on peut appeler une bonne décision. » (le 13 mars 2008, interview à Rue89).

    Sur la colonisation française : « Comme 80% des Algériens [je suis nostalgique de la présence française]. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes nostalgiques de la colonisation. Mais au temps de la présence française, l'Algérie était un beau pays, bien administré, plus sûr, même si de criantes inégalités existaient. Beaucoup d'Algériens regrettent le départ des pieds-noirs. S'ils étaient restés, nous aurions peut-être évité cette tragédie. » (le 18 septembre 1999, interview dans "Le Figaro").

    Sur l'islam : « L'islam (…) se situe par essence dans le champ politique. Le prophète Mahomet est un chef d'État et un chef de guerre qui a utilisé sa religion à des fins tactiques et politiques. Par ailleurs, les textes eux-mêmes ont une dimension totalitaire puisque la charia (loi islamique), qui se fonde sur les textes sacrés de l'islam que sont le Coran, les hadiths et la Sunna, légifère sur absolument tous les aspects de la vie. » (le 4 septembre 2015, interview dans "Le Figaro").

    Sur l'islamisme en France : « [Les Algériens sont] inquiets parce qu’ils constatent jour après jour, mois après mois, année après année, que la France ne sait toujours pas se déterminer par rapport à l’islamisme : est-ce du lard, est-ce du mouton, est-ce de la religion, est-ce de l’hérésie ? Nommer ces choses, elle ne sait pas, c’est un souci. Pendant ce temps, le boa constrictor islamiste a largement eu le temps de bien s’entortiller, il va tout bientôt l’étouffer pour de bon. » (le 13 décembre 2016, interview à la Fondation Varenne).

    Une année auparavant, il disait déjà : « L'islamisation est en marche et connaît une accélération notable. Chacun peut l'observer. Aujourd'hui, l'islamisation est l'affaire de professionnels de la prédication, de la manipulation et des médias, dont Internet. Elle a des buts politiques offensifs. La masse critique qui déclenchera la réaction en chaîne n'est pas loin d'être atteinte. Elle posera d'énormes et insolubles problèmes en Europe. » (le 15 janvier 2015, interview à "Valeurs Actuelles").

    Dans "Le Village de l'Allemand" : « Arrêter l'islamisme, c'est comme vouloir attraper le vent. Il faut autre chose qu'un panier percé ou une bande de rigolos comme nous. Savoir ne suffit pas. Comprendre ne suffit pas. La volonté ne suffit pas. Il nous manque une chose que les islamistes ont en excès et que nous n'avons pas, pas un gramme : la détermination. » (2015). Dans le même livre : « Il a compris que l’islamisme et le nazisme, c’était du pareil au même. Il a voulu voir ce qui nous attendait si on laissait faire comme on a laissé faire en Allemagne, à Kaboul et en Algérie où les charniers islamistes ne se comptent plus, comme on laisse faire chez nous, en France où les gestapos islamistes ne se comptent plus. ». Ou encore, pour être encore plus clair : « Hitler était le führer de l’Allemagne, une sorte de grand imam en casquette et blouson noir. En arrivant au pouvoir, il a apporté avec lui une nouvelle religion, le nazisme. Tous les Allemands portaient au cou la croix gammée, le truc qui voulait dire : Je suis nazi, je crois en Hitler, je vis par lui et pour lui. ».

    Dans "Le Train d'Erlingen" : « Oui, l'Europe a peur de l'islamisme, elle est prête à tout lui céder. (…) La réalité en boucle n'a pas d'effet sur les gens, en apparence du moins. On l'a vu en Algérie durant la décennie noire : les gens qui, au début, s'émouvaient pour une victime du terrorisme ont fini après quelques mois de carnage par ne ressentir d'émotion que lorsque le nombre des victimes par jour dépassait la centaine, et encore devaient-elles avoir été tuées d'une manière particulièrement horrible. Terrible résultat : plus les islamistes gagnaient de terrain et redoublaient de cruauté, moins les gens réagissaient. L'info tue l'info, l'habitude est un sédatif puissant et la terreur, un paralysant violent. » (2018).


    Sur la langue arabe : « L'Université (…), elle enseigne en arabe, ce qui se conçoit, à des étudiants qui ne pratiquent que leur langue et c'est marre [ça suffit !] : l'algérien, un sabir fait de tamazight, d'un arabe venu d'ailleurs, d'un turc médiéval, d'un français XIXe et d'un soupçon d'anglais new-age. » ("Le Serment des barbares", 1999).



    1. Le 14 novembre 2024 ("Atelier de la langue française")






    2. Le 8 octobre 2024 ("Front populaire")






    3. Le 2 octobre 2024 ("Frontières")






    4. Le 1er juillet 2023 ("Le Figaro")






    5. Le 13 juin 2019 (Montpellier)





    6. Le 12 octobre 2018 ("Dialogues")






    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Boualem Sansal.
    Le massacre d’Oran, 60 ans plus tard…
    José Gonzalez.
    Reconnaissance par Emmanuel Macron le 26 janvier 2022 de deux massacres commis en 1962 en Algérie (Alger et Oran).
    Pierre Vidal-Naquet.
    Jean Lacouture.
    Edmond Michelet.
    Jacques Soustelle.
    Albert Camus.
    Abdelaziz Bouteflika en 2021.
    Le fantôme d’El Mouradia.
    Louis Joxe et les Harkis.
    Chadli Bendjedid.
    Disparition de Chadli Benjedid.
    Hocine Aït Ahmed.
    Ahmed Ben Bella.
    Josette Audin.
    Michel Audin.
    Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
    François Mitterrand et l'Algérie.
    Hervé Gourdel.
    Mohamed Boudiaf.
    Vidéo : dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
    Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
    Abdelaziz Bouteflika en 2009.

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241121-boualem-sansal.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/liberez-boualem-sansal-257780

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/23/article-sr-20241121-boualem-sansal.html



     

  • Racine, l'emblématique maître des lettres classiques

    « Dès le XVIIIe siècle, il est devenu l’écrivain classique de référence, admiré entre autres par Voltaire, et il reste toujours au premier plan dans les études littéraires, comme en attestent les listes d’œuvres complètes du lycée qui viennent de paraître où sa tragédie Phèdre est à l’honneur. » (Jean-Christophe Pellat, le 29 mai 2019).


     

     
     


    Le dramaturge et poète français Jean Racine est mort à l'âge de 59 ans (né le 22 décembre 1639) il y a 325 ans, le 21 avril 1699 à Paris. Auteur monumental de la littérature française, répertorié dans les manuels scolaires depuis des siècles, il est le symbole de la littérature classique, celle qui s'exprime en alexandrins de manière rigoureuse et synthétique, où la vertu politique est soumise aux aléas de la passion personnelle et où les unités de temps, de lieu et d'action sont strictement respectées. Il partage avec Molière (1622-1673) et Pierre Corneille (1606-1684) la principale représentation littéraire du XVIe siècle, ils font tous les trois partie des auteurs de théâtre encore les plus joués en France. Racine est connu pour ses tragédies (comme Corneille) autant que Molière pour ses comédies. Racine est néanmoins l'auteur d'une unique comédie "Les Plaideurs" (1668). Il fut notamment l'ami de Molière et de Boileau (1636-1711).

    Les tragédies de Racine sont très connues parce que tous les Français ont eu l'occasion de les étudier de près au cours de leur scolarité, en particulier : "Andromaque" (1667), "Britannicus" (1669), "Bérénice" (1670), "Bajazet" (1672), "Mithridate" (1673), "Iphigénie" (1674) et sans doute son chef-d'œuvre "Phèdre (et Hippolyte)" (1677), dans un mélange de théâtre antique et de jansénisme qu'il a connu à Port-Royal où il a été élevé (par sa tante devenue abbesse, car il était orphelin de mère en 1641 et de père en 1643 ; Racine a d'ailleurs été un exemple exceptionnel d'ascension sociale dans la société très rigide de l'Ancien Régime).

    Pour Jean-Christophe Pellat, professeur de linguistique à l'Université de Strasbourg (dans le Grevisse) : « La conception pessimiste de l’homme qui y règne, être misérable sans Dieu, façonne la vision tragique au cœur des pièces de Racine (L. Goldmann. "Le Dieu caché"). (…) [Racine] a créé des figures tragiques remarquables, comme Andromaque ou Phèdre. Son style classique est "une alliance sans exemple d’analyse et d’harmonie" (P. Valéry). Au-delà des procédés de style éprouvés (l’allitération de "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?"), sa poésie du rythme exprime l’émotion et l’élan du cœur, comme ces paroles de Bérénice à Titus : "Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?" ("Bérénice"). Ses évocations sensibles créent une atmosphère fantastique : "Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle, Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle". ("Andromaque"). Car, pour Racine, "la principale règle est de plaire et de toucher" (préface de "Bérénice"). ».

    Dès le succès de sa deuxième tragédie "Alexandre le Grand" (1665), Racine fut le protégé de roi Louis XIV (1638-1715) qui avait quasiment le même âge que l'écrivain. Il fut trésorier de France, secrétaire du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre. Racine fut élu membre de l'Académie française le 5 décembre 1672 au fauteuil de François de La Mothe Le Vayer (le fauteuil 13 qui sera aussi celui d'Octave Feuillet, Pierre Loti, Paul Claudel, Maurice Schumann, Pierre Messmer et Simone Veil) et a été reçu le 12 janvier 1673. Il n'avait alors que 33 ans.

    Lors de cette journée, ils étaient trois académiciens à être reçus, et pour la première fois, ces réceptions étaient publiques. Racine a prononcé très timidement son discours de réception après celui de l'abbé Valentin Esprit Fléchier (1632-1710), futur évêque de Nîmes et considéré comme l'un des grands orateurs du XVIIe siècle. Le discours de Fléchier a eu un grand succès, si bien que celui de Racine fut accueilli beaucoup moins chaleureusement, au point qu'il n'a pas voulu le faire imprimer (et qu'il est donc aujourd'hui inconnu). Jean d'Alembert (1717-1783), qui fut académicien à partir de 1754, a rapporté ainsi cette réception, cité par Tyrtée Tastet en 1840 : « [Esprit Fléchier] y parla le premier, et obtint de si grands applaudissements que l'auteur d'Andromaque et de Britannicus désespéra d'avoir le même succès. Le grand poète fut tellement intimidé et déconcerté en présence de ce public qui tant de fois l'avait couronné au théâtre, qu'il ne fit que balbutier en prononçant son discours ; on l'entendit à peine, et on le jugea néanmoins comme si on l'avait entendu. ». Esprit Fléchier a une statue à son effigie place Saint-Sulpice à Paris. L'abbé Jean Gallois (1632-1707) fut le troisième académicien reçu le même jour.

    Le discours de réception à l'Académie n'est pas le seul écrit perdu de Racine. Nommé historiographe du roi, il fut désigné en 1677 pour rédiger l'histoire de Louis XIV avec Boileau. Leurs manuscrits furent confiés à leur ami Jean-Baptiste-Henri de Valincour (1653-1730), futur successeur de Racine au fauteuil 13, et, malheureusement, ont péri en 1726 dans l'incendie de sa bibliothèque (contenant près de huit mille volumes).


    En revanche, le discours de Racine de réponse à la réception à l'Académie le 2 janvier 1685 de Thomas Corneille (1625-1709), succédant à son frère Pierre Corneille, et de l'avocat Jean-Louis Bergeret (1641-1694), succédant à Louis Géraud de Cordemoy (1626-1684), a été publié, et c'est une chance puisqu'il a été considéré comme un très bon discours, que son auteur a dû répéter devant le roi le 5 mars 1685 et devant Madame la Dauphine le 20 mars 1685.

    En particulier dans son éloge de son ami Corneille : « [L'Académe] a regardé la mort de Monsieur de Corneille, comme un des plus rudes coups qui la pût frapper ; car bien que depuis un an, une longue maladie nous eût privés de sa présence, et que nous eussions perdu en quelque sorte l’espérance de le revoir jamais dans nos assemblées, toutefois il vivait, et l’Académie dont il était le doyen, avait au moins la consolation de voir dans la liste, où sont les noms de tous ceux qui la composent, de voir, dis-je, immédiatement au-dessous du nom sacré de son auguste protecteur, le fameux nom de Corneille. Et qui d’entre-nous ne s’applaudissait pas en lui-même, et ne ressentait pas un secret plaisir d’avoir pour confrère un homme de ce mérite ? (…) La scène retentit encore des acclamations qu’excitèrent à leur naissance, le Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous ces chef-d’œuvres représentés depuis sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. À dire le vrai, où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d’excellentes parties ? L’art, la force, le jugement, l’esprit ! Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets ! Quelle véhémence dans les passions ! quelle gravité dans les sentiments ! Quelle dignité, et en même temps, quelle prodigieuse variété dans les caractères ! Combien de Rois, de Princes, de Héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu’ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns aux autres ! Parmi tout cela, une magnificence d’expression proportionnée aux maîtres du monde qu’il fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de descendre jusqu’aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu’à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres. Personnage véritablement né pour la gloire de son pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l’ancienne Rome a eu d’excellents tragiques, puisqu’elle confesse elle-même qu’en ce genre elle n’a pas été fort heureuse, mais aux Eschyles, aux Sophocles, aux Euripides dont la fameuse Athènes ne s’honore pas moins que des Thémistocles, des Périclès, des Alcibiades, qui vivaient en même temps qu’eux. (…) Lorsque dans les âges suivants l’on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses, et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l’admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n’en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra avec plaisir que sous le règne du plus grand de ses Rois a fleuri le plus célèbre de ses poètes. On croira même ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque, lorsqu’on dira qu’il a estimé, qu’il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie ; que même deux jours avant sa mort, et lorsqu’il ne lui restait plus qu’un rayon de connaissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu’enfin les dernières paroles de Corneille ont été des remerciements pour Louis-le-Grand. ».

    C'est au 24 rue Visconti dans le sixième arrondissement de Paris (dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés) que Racine est mort le 21 avril 1699 d'une tumeur au foie. Selon ses dernières volontés, il a été enterré à Port-Royal (il s'était brouillé puis réconcilié avec les jansénistes de Port-Royal ; selon l'expression du site jeanracine.org : « [il] resta le courtisan respectueux écartelé entre la faveur du roi et la fidélité à Port-Royal » ; il n'a pas eu le temps de finir son "Abrégé de l'histoire de Port-Royal" rédigé secrètement), puis ses restes ont été délogés et transférés en 1711 à l'église Saint-Étienne-du-Mont de Paris après la destruction de Port-Royal par Louis XIV.
     

     
     


    C'est le successeur de Racine à l'Académie qui fut chargé de faire son éloge (comme c'est de coutume) le 27 juin 1699 lors de sa réception. Jean-Baptiste-Henri de Valincour déclara notamment : « M. Racine conduit par son seul génie, et sans s’amuser à suivre ni même à imiter un homme que tout le monde regardait comme inimitable, ne songea qu’à se faire des routes nouvelles. Et tandis que Corneille peignant ses caractères d’après l’idée de cette grandeur romaine, qu’il a le premier mise en œuvre avec tant de succès, formait ses figures plus grandes que le naturel, mais nobles, hardies, admirables dans toutes leurs proportions ; tandis que les spectateurs entraînés hors d’eux-mêmes, semblaient n’avoir plus d’âmes que pour admirer la richesse de ses expressions, la noblesse de ses sentiments, et la manière impérieuse dont il maniait la raison humaine. M. Racine entra, pour ainsi dire, dans leur cœur et s’en rendit le maître ; il y excita ce trouble agréable qui nous fait prendre un véritable intérêt à tous les événements d’une fable que l’on représente devant nous ; il les remplit de cette terreur et de cette pitié qui, selon Aristote, sont les véritables passions que doit produire la tragédie ; il leur arracha ces larmes qui font le plaisir de ceux qui les répandent ; et peignant la nature moins superbe peut-être et moins magnifique, mais aussi plus vraie et plus sensible, il leur apprit à plaindre leurs propres passions et leurs propres faiblesses, dans celles des personnages qu’il fit paraître à leurs yeux. Alors le public équitable, sans cesser d’admirer la grandeur majestueuse du fameux Corneille, commença d’admirer aussi les grâces sublimes et touchantes de l’illustre Racine. Alors le théâtre français se vit au comble de sa gloire, et n’eut plus de sujet de porter envie au fameux théâtre d’Athènes florissante : c’est ainsi que Sophocle et Euripide, tous deux incomparables et tous deux très différents dans leur genre d’écrire, firent en leur temps l’honneur et l’admiration de la savante Grèce. Quelle foule de spectateurs, quelles acclamations ne suivirent pas les représentations d’Andromaque, de Mithridate, de Britannicus, d’Iphigénie et de Phèdre ! Avec quel transport ne les revoit-on pas tous les jours, et combien ont-elles produit d’imitateurs, même fort estimables, mais qui toujours fort inférieures à leur original, en font encore mieux concevoir le mérite ! Mais, lorsque renonçant aux muses profanes, il consacra ses vers à des objets plus dignes de lui, guidé par des conseils et par les ordres que la sagesse même avouerait pour les siens, quels miracles ne produisit-il pas encore ! Quelle sublimité dans ses cantiques, quelle magnificence dans Esther et dans Athalie, pièces égales, ou même supérieures à tout ce qu’il a fait de plus achevé, et dignes par-tout, autant que des paroles humaines le peuvent être, de la majesté du Dieu dont il parle, et dont il était si pénétré ! En effet, tous ceux qui l’ont connu savent qu’il avait une piété très-solide et très-sincère, et c’était comme l’âme et le fondement de toutes les vertus civiles et morales que l’on remarquait en lui : ami fidèle et officieux, et le meilleur père de famille qui ait jamais été, mais sur-tout exact et rigide observateur des moindres devoirs du christianisme, justifiant en sa personne ce qu’a dit un excellent esprit de notre siècle : que si la religion chrétienne paraît admirable dans les hommes du commun par les grandes choses qu’elle leur donne le courage d’entreprendre, elle ne le paraît pas moins dans les plus grands personnages par les petites choses dont elle les empêche de rougir. ».

    Mais probablement que l'éloge le plus touchant provient d'un autre grand écrivain, André Gide (1869-1951), par ailleurs Prix Nobel de Littérature en 1947, qui s'émerveillait de Racine : « J'ai aimé les vers de Racine par-dessus toutes productions littéraires. J'admire Shakespeare énormément ; mais j'éprouve devant Racine une émotion que ne me donne jamais Shakespeare : celle de la perfection. ». La statue de Jean Racine trône aujourd'hui au flanc du Louvre.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Racine.
    Pierre Loti.
    Philippe de Villiers.
    Frédéric Mitterrand.
    Philippe De Gaulle.
    Jean-Pierre Chevènement.
    Élisabeth Badinter.
    Robert Badinter.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Edgar Morin.

    Jean-François Revel.
    Maurice Bellet.
    Claude Villers.
    André Franquin.
    Morris.

    Françoise Hardy.
    Lénine.
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Maurice Barrès.
    Bernard-Henri Lévy.

    Jacques Attali.
    Italo Calvino.
    Hubert Reeves.

    Jean-Pierre Elkabbach.
    Jacques Julliard.

    Robert Sabatier.
    Hélène Carrère d'Encausse.

    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.
     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240421-racine.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/racine-l-emblematique-maitre-des-253964

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/20/article-sr-20240421-racine.html