« L’avenir de l’Europe n’a pas à être tranché à Washington ou à Moscou. Et oui, la menace revient à l’est et l’innocence en quelque sorte des trente dernières années depuis la chute du mur de Berlin est désormais révolue. » (Emmanuel Macron, le 5 mars 2025 à Paris).
Le Président de la République Emmanuel Macron a prononcé une allocution télévisée de quatorze minutes ce mercredi 5 mars 2025 à 20 heures, à la veille d'un Conseil Européen extraordinaire à Bruxelles. Quinze millions de Français l'ont écouté. Ce n'est peut-être pas la plus importante (il y a eu l'annonce du premier confinement le 16 mars 2020, ou encore l'annonce de la dissolution de l'Assemblée, le 9 juin 2024), mais c'est sans aucun doute l'une des plus importantes allocutions télévisées des deux mandats d'Emmanuel Macron depuis 2017.
Cette allocution est une sorte d'annonce d'une page qui se tourne dans les relations internationales, telles qu'elles étaient organisées depuis la fin de la guerre. Si Emmanuel Macron a beaucoup critiqué la Russie de Vladimir Poutine, il s'est bien gardé d'en faire de même avec les États-Unis de Donald Trump, même si aujourd'hui, la différence semble ténue, notamment sur le sort de l'Ukraine, mais Emmanuel Macron reste toujours dans l'espoir de convaincre Donald Trump, tant sur l'Ukraine que sur les tarifs douaniers : « Nous continuerons comme je l’ai fait voilà quinze jours à tout tenter pour convaincre que cette décision nous ferait du mal à tous. Et j’espère, oui, convaincre et en dissuader le Président des États-Unis d’Amérique. ».
Il fallait que les Français soient informés directement par le chef de l'État des derniers rebondissements, nombreux, rapides, dans les relations internationales. En ce sens, l'allocution d'Emmanuel Macron a été excellente : excellente sur la forme, avec un cadre neutre qui s'accommode bien de la gravité du sujet ; excellente sur le fond, sans tenter de dramatiser, en disant les choses simplement, calmement mais fermement, avec lucidité mais aussi avec optimisme. L'idée générale, c'est la fameuse phrase de Pierre Mendès France : gouverner, c'est prévoir. Anticiper, toujours anticiper, c'est que ce fait Emmanuel Macron depuis qu'il a été élu Président de la République.
Le tableau a de quoi inquiéter : « Les États-Unis d’Amérique, notre allié, ont changé leurs positions sur cette guerre, soutiennent moins l’Ukraine et laissent planer le doute sur la suite. Dans le même temps, les mêmes États-Unis d’Amérique entendent imposer des tarifs douaniers aux produits venant d’Europe. Enfin, le monde continue d’être sans cesse plus brutal, et la menace terroriste ne faiblit pas. Au total, notre prospérité et notre sécurité sont devenues plus incertaines. Il faut bien le dire, nous rentrons dans une nouvelle ère. ».
L'abandon de l'Ukraine par les États-Unis montre à l'évidence que l'Europe n'est plus protégée par son allié historique. En fait, on le savait depuis longtemps, cela fait au moins une quinzaine d'années que les États-Unis veulent se tourner vers le Pacifique et que l'Alliance atlantique leur coûte cher. Mais on n'a pas voulu en tirer toutes les leçons, par paresse mais aussi par manque d'argent. Ce qui est nouveau, c'est la brutalité inédite de Donald Trump et de J. D. Vance qui bousculent toutes les convenances.
Le premier message d'Emmanuel Macron, dit par lui depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, la guerre en Ukraine, concerne notre sécurité directe, la sécurité de l'Europe et la sécurité de la France : « C’est non seulement le peuple ukrainien qui lutte avec courage pour sa liberté, mais c’est aussi notre sécurité qui est menacée. En effet, si un pays peut envahir impunément son voisin en Europe alors personne ne peut plus être sûr de rien, et c’est la loi du plus fort qui s’applique et la paix ne peut plus être garantie sur notre continent même. L’Histoire nous l’a enseigné. ».
Et au-delà de l'Ukraine, c'est la menace de la Russie de Vladimir Poutine qui est pointée du doigt : « La menace russe est là et touche les pays d’Europe. Nous touche. ».
D'une part, Vladimir Poutine a internationalisé le conflit et se bat aussi contre l'Europe et la France au moyen de cyberattaques, mais aussi de nombreuses tentatives d'intimidation dans les airs : « Elle a mobilisé sur notre continent des soldats nord-coréens et des équipements iraniens, tout en aidant ces pays à s’armer davantage. La Russie du Président Poutine viole nos frontières pour assassiner des opposants, manipule les élections en Roumanie et en Moldavie. Elle organise des attaques numériques contre nos hôpitaux, pour en bloquer le fonctionnement. La Russie tente de manipuler nos opinions, avec des mensonges diffusés sur les réseaux sociaux. Et au fond, elle teste nos limites et elle le fait dans les airs, en mer, dans l’espace et derrière nos écrans. Cette agressivité ne semble pas connaître de frontières. ».
D'autre part, il poursuit dangereusement la militarisation de la Russie : « La Russie dans le même temps continue de se réarmer, dépensant plus de 40% de son budget à cette fin. D’ici à 2030, elle prévoit encore d’accroître son armée, d’avoir 300 000 soldats supplémentaires, 3 000 chars et 300 avions de chasse de plus. ».
D'où la question cruciale, que le Président français pose depuis mars 2022 : « Qui peut donc croire, dans ce contexte, que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ? La Russie est devenue au même ou je vous parle et pour les années à venir une menace pour la France et pour l’Europe. Je le regrette très profondément et je suis convaincu qu’à long-terme la paix se fera sur notre continent avec une Russie redevenue apaisée et pacifique, mais la situation que je vous décris et celle-là et nous devons faire avec. ».
Avec le désengagement américain, Emmanuel Macron est enfin écouté par nos amis européens, notamment allemands, britanniques et italiens.
La réaction de la France et de l'Europe doit donc être en rapport avec la menace que la situation a provoquée : « Face à ce monde de dangers, rester spectateurs serait une folie. Il s’agit sans plus tarder de prendre des décisions pour l’Ukraine, pour la sécurité des Français, pour la sécurité des Européens. ».
Concernant l'Ukraine, Emmanuel Macron redit ce que le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a dit à Donald Trump le 28 février 2025 : on ne peut pas faire confiance à la signature de Vladimir Poutine. Il faut donc se donner les conditions d'une paix durable : « Le chemin qui mène à la paix ne peut pas passer par l’abandon de l’Ukraine, bien au contraire. La paix ne peut pas être conclue à n’importe quel prix et sous le diktat russe. La paix ne peut être la capitulation de l’Ukraine. Elle ne peut pas être son effondrement. Elle ne peut pas davantage se traduire par un cessez-le-feu qui serait trop fragile. Et pourquoi ? Parce que là aussi nous avons l’expérience du passé. Nous ne pouvons oublier que la Russie a commencé à envahir l’Ukraine en 2014, que nous avons alors négocié un cessez-le-feu à Minsk et la même Russie n’a pas respecté ce cessez-le-feu et que nous n’avons pas été capable de les maintenir faute de garanties solides. Aujourd’hui, on ne peut plus croire la Russie sur parole. ».
Le respect de la paix sera donc l'affaire de tous, et en particulier du continent européen : « Cela passera à coup sûr par un soutien à l’armée ukrainienne dans la durée. Cela passera aussi peut-être par le déploiement de forces européennes. Celles-ci n’iraient pas se battre aujourd’hui, elle n’irai pas se battre sur la ligne de front, mais seraient là au contraire une fois la paix signée pour en garantir le plein respect. (…) Et je veux croire que les États-Unis resteront à nos côtés : mais il nous faut être prêts si tel n’était pas le cas. ».
Il n'y a pas que la guerre en Ukraine, il y a la sécurité de l'Europe en général : « Les États européens doivent, compte tenu de la menace russe que je viens de vous décrire, être capables de mieux se défendre et de dissuader toute nouvelle agression. Oui, quoi qu’il advienne, il nous faut nous équiper davantage, hausser notre position de défense et cela pour la paix même, pour dissuader. À ce titre, nous restons attachés à l’OTAN et à notre partenariat avec les États-Unis d’Amérique, mais il nous faut faire plus, renforcer notre indépendance, en matière de défense et de sécurité. ».
Ainsi, le chef de l'État a évoqué le prochain Conseil Européen du 6 mars 2025 : « Plusieurs décisions seront prises, que la France proposait depuis des années. Les États-membres pourront accroître leurs dépenses militaires sans que cela soit pris en compte dans leur déficit. Des financements communs massifs seront décidés pour acheter et produire sur le sol européen des munitions, des chars, des armes, des équipements parmi les plus innovants. J’ai demandé au gouvernement d’être mobilisé pour que d’une part cela renforce nos armées le plus rapidement possible, et d’autre part que cela accélère la réindustrialisation dans toutes nos régions. Je réunirai avec les ministres compétents les industriels du secteur dans les prochains jours. L’Europe de la défense que nous défendons depuis huit ans devient donc une réalité. Cela veut dire des pays européens davantage prêts à se défendre et à se protéger, qui produisent ensemble les équipements dont ils ont besoin sur leur sol, qui sont prêts à davantage coopérer et à réduire leurs dépendances à l’égard du reste du monde et c’est une bonne chose. ».
C'est toute l'action européenne d'Emmanuel Macron, dont il a exposé la vision lors de son premier discours de la Sorbonne, le 26 septembre 2017, qui se trouve ainsi confortée par les événements. Il a fallu du temps, mais avoir raison trop tôt permet aussi de se préparer plus tôt. C'est ce qui s'est passé avec les deux dernières lois de programmation militaire. Dès l'été 2017, Emmanuel Macron avait annoncé une accroissement du budget de la défense, et en huit ans, le budget a doublé.
Mais cela ne suffira pas : « Compte tenu de l’évolution des menaces, de cette accélération que je viens de décrire, nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont désormais devenus indispensables. J’ai demandé au gouvernement d’y travailler le plus vite possible. Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés. Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage. ».
Augmentation du budget et aucune augmentation de la fiscalité, cela signifie réduction d'autres dépenses publiques. Et pourtant, depuis quarante ans, nous sommes incapables de réduire la voilure. Le défi est donc majeur.
Ce sera sans doute le message qui passera le plus mal à gauche, qui soupçonnera le Président de la République de vouloir réduire les budgets sociaux. C'est ce qu'avait dit le Premier Ministre François Bayrou, la veille, le 4 mars 2025, à l'Assemblée : « C’est donc un immense effort que nous devons fournir. Si je puis vous dire ce que je pense vraiment, cela va nous obliger à réfléchir à notre modèle, à nos priorités, et à voir différemment le monde que nous pensions connaître et dont nous avons découvert, par l’action de ceux que nous croyions être nos alliés, qu’il était plus dangereux que nous ne l’imaginions. ». Pendant que les États-Unis s'engageaient à défendre la sécurité de l'Europe, les pays européens avaient réduit leur budget de la défense pour profiter d'un modèle social plus avantageux. Il faut revoir cet état de fait.
Chef des armées, Emmanuel Macron a aussi évoqué la dissuasion nucléaire, en coupant court à toutes les désinformations entendues des oppositions. Voici sa réflexion exacte et complète : « Notre dissuasion nucléaire nous protège. Elle est complète, souveraine, française de bout en bout. Elle a depuis 1964 de manière explicite toujours joué un rôle dans la préservation de la paix et de la sécurité en Europe. Mais répondant à l’appel historique du futur Chancelier allemand, j’ai décidé d’ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen. Quoi qu’il arrive, la décision a toujours été et restera entre les mains du Président de la République, chef des armées. ». C'est cette dernière phrase qui est la plus importante : jamais Emmanuel Macron n'a évoqué une seule fois un supposé partage de la décision nucléaire. Jamais !
La conclusion à tout cela, c'est qu'il faut continuer à augmenter le budget de la défense pour être capable de se défendre sans les États-Unis, être prêt à riposter le cas échéant au pays agressif qui est actuellement la Russie de Vladimir Poutine. Emmanuel Macron n'a pas donné de montant, mais on dit qu'il faudrait passer de 50 à 90 milliards d'euros par an dans le budget de l'État qui est déjà très déficitaire.
D'où cet appel à la classe politique (et aux milieux économiques) pour changer notre perception et imaginer de nouvelles solutions : « Au total, le moment exige des décisions sans précédent depuis bien des décennies. Sur notre agriculture, notre recherche, notre industrie, sur toutes nos politiques publiques nous ne pouvons pas avoir les mêmes débats que naguère. C’est pourquoi j’ai demandé au Premier Ministre et à son gouvernement et j’invite toutes les forces politiques, économiques et syndicales du pays à leurs côtés, à faire des propositions à l’aune de ce nouveau contexte. Les solutions de demain ne pourront être les habitudes d’hier. ».
Pour Emmanuel Macron, ce qui est en jeu, ce sont nos valeurs : « La France ne suivra qu’un cap, celui de la volonté pour la paix et la liberté, fidèle en cela à son Histoire et ses principes. Oui c’est ce en quoi nous croyons pour notre sécurité, et c’est ce en quoi nous croyons aussi pour défendre la démocratie, une certaine idée de la vérité, une certaine idée d’une recherche libre, du respect dans nos sociétés, une certaine idée de la liberté d’expression qui n’est pas autour des discours de haine, une certaine idée de l’humanisme. C’est cela que nous portons et qui se joue. Notre Europe possède la force économique, la puissance et les talents pour être à la hauteur de cette époque, et que nous nous comparions aux États-Unis d’Amérique et a fortiori à la Russe, nous en avons les moyens. ».
Ce qui a expliqué également que le chef de la Nation ait fait appel à tous les citoyens, qui doivent prendre conscience que l'époque évolue à grande vitesse : « Nous devons donc agir en étant unis en européens et déterminés à nous protéger. C’est pourquoi la patrie a besoin de vous, de votre engagement. Les décisions politiques, les équipements militaires et les budgets sont une chose mais ils ne remplaceront jamais la force d’âme d’une Nation. Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix. Il ne tient qu’à nous que nos enfants récoltent demain les dividendes de nos engagements. ».
Cet appel a eu déjà des effets positifs dès cette soirée-là : beaucoup de demandes ont été faites sur Internet pour devenir réservistes. Et d'un point de vue politique, si Emmanuel Macron ne cherchait pas à convaincre ni les insoumis ni le RN, il a réussi son objectif premier : convaincre le PS qui est d'accord sur le principe d'une hausse du budget de la défense en raison de l'évolution inquiétante des derniers événements. Parfois, la stabilité s'obtient grâce aux crises. Ce sera peut-être le cas ici, la fragilité institutionnelle du gouvernement actuel pourrait paradoxalement en faire sa force première pour prendre des décisions courageuses, dans l'intérêt national.
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Sylvain Rakotoarison (06 mars 2025)
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