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afrique

  • La foi de Sœur Marguerite, qui déplace des montagnes contre l'exclusion scolaire

    « Elle a le visage d'un ange prêté pour trop peu de temps à la Terre. » (Jacques Séguéla, 2006).


     

     
     


    Ce dimanche 8 septembre 2024, je voudrais rendre hommage à une femme superbe, Sœur Marguerite, qui fête son 98e anniversaire. Tant d'années et autant de foi dans la vie, dans l'espérance d'un avenir meilleur, cela réconforte quand on lit tellement de mauvaises nouvelles, tellement de déclinisme, de pessimisme. Et puis, il est quand même quelques personnes charitables qui se sont engagées auprès de Dieu qui ne devraient pas décevoir, même après leur mort.

    Dans le petit monde des religieuses, il y a beaucoup de sœurs Marguerite. La Sœur Marguerite que je veux honorer ici s'appelle pour l'état-civil Marguerite Tiberghien, née le 8 septembre 1926 à Roubaix, dans le Nord. Elle s'est engagée en 1948 dans les ordres chez les Filles de la charité de saint Vincent de Paul. Après avoir enseigné dans l'agglomération de Lille, Sœur Marguerite est partie en 1972 au Congo-Brazzaville pour enseigner également (le régime de ce pays africain était communiste de 1969 à 1992). Elle avait alors 46 ans.

    Sa grande réalisation, ce fut d'avoir fondé l'École spéciale de Brazzaville en octobre 1975 qui permet de scolariser gratuitement les exclus, des enfants très pauvres ou en situation de handicap, des enfants déscolarisés, des adultes illettrés, etc. sur le programme de l'enseignement primaire en langue française. Elle y a enseigné la lecture et l'écriture pendant près de trente années, jusqu'en septembre 2004 où elle a pris sa retraite et est retournée vivre à Paris comme l'y conviait sa congrégation (elle avait 78 ans !). Cette école a essaimé et a fait des petites. En tout, 30 000 Congolais ont bénéficié de cette école très singulière et ont échappé à l'illettrisme. Sœur Marguerite a su trouver des financements tout au long de ces années, soit des pouvoirs publics (notamment congolais et français) soit d'origine privée (donateurs, etc.).

    Au-delà de l'enseignement primaire, cette école assure aussi une formation professionnelle (menuiserie, jardinage, couture) et des activités d'éveil pour les élèves (enfants et adultes) atteints d'un handicap mental. Ces derniers restent à la charge de leur famille mais avec cette formation, ils ont progressé dans leur ouverture au monde, ce qui a renforcé leur intégration sociale. Les effectifs de l'école sont passés de 80 en 1975 à 2 500 en 2011. À partir du début des années 2000, en effet, c'est tout un réseau d'écoles qui a été mis en place pour instruire les exclus.

    Toutes ces structures se basent sur les quatre principes suivants : accueil des exclus de l'école primaire, coexistence des trois sections pédagogiques (A : adultes de plus de 20 ans pour alphabétisation et préparation au CEP ; J pour enfants de moins de 14 ans pour atteindre le niveau CM2 ; T pour enfants de plus de 14 ans pour alphabétisation et préparation au CEP) et des ateliers professionnels ; gratuité avec participation financière libre des familles ; gestion d'un comité d'entraide.

    Le 6 octobre 2021 (dans un entretien accordé à Marie Alfred Ngoma pour l'Agence d'information d'Afrique centrale), Sœur Marguerite a raconté ses débuts : « Nous avons commencé dans une salle qui n’était pas une classe. (…) Notre travail était d’assurer l’apprentissage de la lecture par la méthode syllabique mimée avec des gestes. Nous avions, pour chaque lettre de l’alphabet, une histoire accolée. Par exemple, celle de la lettre A, c’est l’histoire d’une jeune fille qui s’appelle Anne qui s’émerveille et exprime sa joie avec un énorme sourire devant la robe achetée par sa mère. La classe s’interroge : pourquoi Anne est contente ? Elle est contente parce que sa mère lui a acheté une belle robe. S’en suit l’exclamation Ah ! ».

    Et de résumer l'essentiel pour les enfants congolais : « Tout comme les cinq doigts de la main : en premier, disposer d’un bon professeur ; ensuite, avoir le courage de travailler ; entretenir l’amitié dans la classe, éviter les moqueries ; veiller à la propreté dans l’école et enfin, lutter pour la vérité, admettre ses faiblesses au lieu de les cacher, pas d’évolution si on ne sait pas lire. (…) Plus, il y aura de femmes et d’hommes conscients de la richesse de la lecture, mieux ça ira ! C’est par l’apprentissage de la lecture pour tous que le Congo rendra la fierté aux populations, ôtant, au passage, le mépris de l’autre. ».

    Malgré la guerre civile qui a sévi au Congo-Brazzaville entre le 10 mai et le 25 octobre 1997 et qui a fini par le retour au pouvoir de l'ancien autocrate communiste Dens Sassou-Nguesso (toujours au pouvoir aujourd'hui), la religieuse a préféré restait courageusement sur place, malgré les dangers, pour continuer à mener sa lutte contre l'illettrisme, car ses élèves avaient besoin d'elle.

    En avril 2006, Sœur Marguerite a fait la connaissance du publicitaire Jacques Séguéla et ce fut le coup de foudre pour l'homme de communication qui l'a appelée Sœur Courage. Ce dernier lui a consacré un livre-interview où elle a nappé sa vie auprès des exclus. Un livre, publié en octobre 2006, dont les droits d'auteur ont été versés à l'Association des amis de l'École spéciale de Brazzaville.
     

     
     


    La notoriété de l'ancien conseiller en communication politique de François Mitterrand lui a permis également de créer, avec l'aide notamment du père Alain de La Morandais (qui avait fait connaître Sœur Marguerite à Jacques Séguéla), le Fonds de dotation Sœur Marguerite le 20 août 2010 pour financer toutes les initiatives locales visant à concrétiser la gratuité et l'universalité de l'enseignement primaire en langue française (apprendre à lire, écrire et compter). Ce fonds a été reconnu à l'UNESCO au cours d'une journée sous le haut patronage de Carla Bruni, épouse du Président de la République, le 12 avril 2011.

    Pierre Chausse, président de ce fonds, a expliqué : « [Ce fonds] a pour objet de pérenniser et de développer le modèle des Écoles Spéciales (qui combine enseignement primaire francophone pour tous et formations professionnelles) ainsi que de développer un réseau d’écoles dans le monde entier. En une décennie, l’action de soutien du Fonds de dotation en faveur de projets éducatifs s’est étendue auprès de nombreuses communautés francophones, qu’elles soient congolaises, indiennes ou libanaises. Aujourd’hui via ses partenariats avec d’autres ONG, les équipes enseignantes sur place et des acteurs locaux partageant ces mêmes valeurs d’universalité de l’éducation. Le Fonds de dotation réfléchit à différents projets d’infrastructures, notamment en faveur des personnes handicapées. ».


    Quant à la religieuse, voici ce qu'elle disait, le 13 février 2011 sur RFI, à la journaliste Geneviève Delrue (vice-présidente de l'Association des journalistes d'information religieuse) : « Cela me donne un grand bonheur, parce que je suis de plus en plus persuadée que les questions de sous-développement de pays en retard, c'est avant tout une question d'instruction. Alors, maintenant, il y a l'École spéciale à soutenir, mais il y aurait aussi l'ensemble des jeunes mal instruits ou pas scolarisés du tout. Mon idée-là, toujours dans la tête : pas savoir lire à 80 ans, ce n'est pas grave, parce qu'on a encore toute l'oralité avec les contes, les proverbes, enfin, toute la belle poésie de cette oralité. Pas savoir lire à 50 ans, ce n'est pas grave, il y a des écoles qui sont prévues pour ça. Mais pas savoir lire à 15 ans, c'est inacceptable ! Surtout à notre époque. Parce que les analphabètes qui n'ont que la force de leurs bras, et qui, ayant grandi dans des villes immenses, n'ont pas bénéficié de la culture orale de leurs ancêtres, on est devant un orphelinat mental. (…) Maintenant, avec les avancées techniques et les robots, les analphabètes qui n'ont que la force de leurs mains, petit à petit, on n'en a pas besoin, c'est grave ! Voyez les chantiers de construction, et j'ai vu de grandes grues, des grosses pelleteuses, mais il y a deux trois ouvriers, pas plus, ce n'est pas la peine, la machine est là. C'est vrai, il faut savoir la diriger la machine, donc, il faut avoir fait des études ».

    Effectivement, Sœur Marguerite a souvent parlé du « miracle de l'amitié » qui a sorti tant de ses élèves, enfants congolais, de « l'orphelinat mental ». Elle leur a souhaité joyeux Noël 2021 avec ces mots : « Qu’ils soient dans la posture où, avec peu, se multiplient les bonheurs à partager (…). [Je leur souhaite] d’avoir souvent l’occasion de dire, d’entendre : c’est bien, c’est bon, c’est beau ! ».
     

     
     


    Elle a décrit la honte de l'exclusion scolaire : « Le premier point commun, c'est une espèce de honte. L'analphabète de 15 ans a honte de ne pas savoir lire. Et l'écriture pour lui, c'est des dessins. (…) Ils savent qu'ils n'ont pas d'avenir. Alors, vous les retrouvez où ? Vous les retrouvez dans les bandes armées, soit simplement des bandits, soit des bandes armées des milices dont s'entoure chaque personnage important. ».

    Jusqu'au bout, jusqu'à son dernier souffle, Sœur Marguerite se consacrera donc à l'éducation, après avoir vu les massacres de la guerre civile en 1997 : « Au moins l'éducation primaire. D'abord, c'est marqué dans la Déclaration des droits de l'homme, article 26 : l'homme a droit à l'éducation gratuite, au moins la primaire. On ne peut pas se contenter de nourrir. On ne peut pas se contenter de vacciner. Ça va vite, un vaccin ; une minute, l'enfant est vacciné. Mais après ? Moi, je disais à un papa qui est tout fier d'aller annoncer à la mairie que sa femme lui a fait cadeau du plus beau bébé du monde, est-ce qu'il a pensé qu'il en avait jusqu'en 2030 à suivre la scolarité de son fils ? Maintenant, il faut compter vingt ans. Et là-bas, on trouve normal de les laisser comme ça parce que, c'est vrai, il y a un effort à faire. Quand je vois les belles écoles en France, et qu'on n'est pas contents, on a encore trop d'enfants qui arrivent en Sixième en ânonnant la lecture, bon, mais là-bas, chaque fois, je suis triste, je suis contente parce qu'on reçoit de bonnes aides des écoles françaises, ces jeunes sont généreux, les professeurs aussi, les directeurs sont très accueillants, mais chaque fois, quand je vois la différence avec les écoles du Congo que je connais (…), je dis : non, ça ne va pas, ils ne vont pas se rattraper. Et je supplie de tout mon cœur les chefs d'État de prendre ça en main. » (13 février 2011).

    Le 28 mars 2013, Sœur Marguerite a suggéré pour l'hebdomadaire chrétien "La Vie" que Dieu avait laissé quatre graines dans le cœur des humains, et des seuls humains, la bonté qu'il faut cultiver, la science et l'intelligence, la beauté, et ce grand appel de l'infini : « Qu'est-ce qu'il y aura après la mort ? L'éternité qui nous attend, c'est la grande question qui se pose. ». Et de conclure : « Dieu, on l'a vu. C'était un homme ! ». Très bon anniversaire, ma sœur !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jacques Séguéla.
    Les 98 ans de Sœur Marguerite.
    Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
    Assomption : pourquoi le 15 août est-il férié ?
    Le pape François à Marseille (1) : ne pas légiférer sur l'euthanasie.
    Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
    Mgr Jacques Gaillot.
    Mgr Albert Decourtray.

    Maurice Bellet.
    Lucile Randon (Sœur André).
    François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
    Santé et Amour.
    Le testament de Benoît XVI.
    Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

    L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
    Sainte Jeanne d'Arc.
    Sainte Thérèse de Lisieux.
    Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
    Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
    L’Église de Benoît XVI.
    Saint François de Sales.
    Le pape François et les étiquettes.
    Saint  Jean-Paul II.
    Pierre Teilhard de Chardin.
    La vérité nous rendra libres.
    Il est venu parmi les siens...
    Pourquoi m’as-tu abandonné ?
    Dis seulement une parole et je serai guéri.
    Le ralliement des catholiques français à la République.
    L’abbé Bernard Remy.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240908-soeur-marguerite.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/la-foi-de-soeur-marguerite-qui-256608

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/08/article-sr-20240908-soeur-marguerite.html




     

  • Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?

    « Actuellement, la forte recrudescence de la maladie en Afrique est principalement due à une nouvelle souche, le clade Ib, plus transmissible et plus dangereuse que les précédentes. » ("Le Monde", le 16 août 2024).

    « Des symptômes plus graves et plus durables, des lésions cutanées étendues sur l'ensemble du corps, une transmission par contact non sexuelle et une mortalité accrue chez les enfants : voilà ce qu'il faut retenir de cette nouvelle variante du mpox qui inquiète l'OMS. En outre, l'infection avec cette souche plus virulente entraîne des effets secondaires et des complications spécifiques après la guérison. » (Futura Sciences, le 16 août 2024).





     

     
     


    Ça y est, les réseaux sociaux s'y mettent aussi et se demandent de manière faussement ingénue si "ils" vont recommencer "le coup" du covid-19. Encore un peu, et ces complotistes en pantoufles iraient jusqu'à accuser Emmanuel Macron d'inventer un nouveau virus et une nouvelle pandémie rien que pour retarder la formation du nouveau gouvernement (Louis Boyard a déjà cru qu'il avait inventé les Jeux paralympiques pour prolonger les JO 2024 de Paris !). En cause : l'alerte maximale donnée par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à propos de la variole du singe.

    Mon objectif ici est d'y voir un peu plus clair sur cette menace pandémique du virus mpox (autre nom, à préférer, de la variole du singe), avec cette situation qui veut que lorsqu'il y a une menace, il y a un double risque de peur ou de déni. J'aurais pu titrer mon article "faut-il avoir peur de la variole du singe ?" mais la réponse à la question est évidente : non ! Non, face au danger, il ne faut jamais avoir peur car la peur paralyse. En revanche, il faut avoir une vision lucide de la situation, comprendre les risques et, surtout, les prendre au sérieux. Rappelons-nous qu'en janvier 2020, il y avait deux ou trois personnes (étrangères) contaminées au covid-19 en France (dans la région de Bordeaux je crois) et à l'époque, un grand maître de la virologie prétendait que ce n'était rien et qu'on en faisait déjà trop ! Nous n'imagions pas la tournure que prendrait ce virus, en France comme dans le monde (du reste, ces personnes contaminées semblent ne pas avoir propagé l'épidémie en France et la cause serait plutôt un foyer à Mulhouse). Prendre l'option du déni n'est donc pas une meilleure posture que l'option de la peur. Responsabilité et vigilance paraissent plus indiquées.

    Le complotisme a cette fâcheuse manie de mettre un sens là où il n'y en a pas. De croire que les catastrophes naturelles sont surnaturelles, c'est-à-dire proviennent de forces intelligentes superpuissantes (certains l'ont dit du sida que Dieu voulait punir les déviants, réflexe relativement humain puisque d'autres l'ont dit pour la peste, etc.). Ou que les catastrophes naturelles sont humaines, provenant d'une puissante élite humaine aux commandes de tout, qui maîtrise tout, qui nous manipule (c'est le "ils" du titre, à opposer au confortable et rassurant "nous"). Quelle prétention humaine ! La réalité scientifique est souvent plus bestiale : l'être humain est minuscule face aux intempéries de la Nature !

    La pandémie fait certes partie des catastrophes naturelles (c'est bien la nature qui avance avec les virus, une sorte de laboratoire de la théorie de l'Évolution en accéléré), mais elle pourrait aussi provenir de l'humain, de recherches humaines casse-cou, genre prométhéennes ou frankensteiniennes. Pour le covid-19, certains ont ainsi soupçonné certains laboratoires d'avoir confectionné le virus (pour un autre virus totalement romancé, l'écrivain Xavier Müller, auteur de "Erectus" publié en 2018, donc bien avant le covid-19, imagine la négligence scientifique dans un programme voulu de recherches en virologie). L'origine humaine (dans le sens de sciences mal maîtrisées) d'une pandémie est possible mais peu probable car la Nature n'a pas besoin des humains pour créer ou faire évoluer, muter, de nouveaux virus.

     

     
     


    Revenons à la variole du singe, appellation très mal trouvée et particulièrement dégradante, qui n'incite pas les malades qui en sont atteints à la déclarer pour se faire soigner, au risque d'être considérés ou de se considérer comme des singes. On a parlé du singe parce que le virus a été pour la première fois isolé et identifié chez le singe, mais il n'est pas associé au singe et le réservoir animal du virus est plutôt les rongeurs (en particulier les rats de Gambie). On appelle la maladie orthopoxvirose simienne, infection à virus monkeypox et maintenant, selon l'appellation de l'OMS adoptée le 28 novembre 2022, mpox (le "m" faisant référence à monkey, singe en anglais). L'appellation française est officiellement la "variole simienne" depuis le 18 avril 2023 (mais je ne vois pas trop ce qui change, simienne voulant dire "qui relève des singes" !). Ce virus mpox fait partie de la même "famille" que celui de la variole humaine, du genre orthopoxvirus, à cela près que le variole humaine a été complètement éradiquée depuis 1980.
     

     
     


    Le mpox provient surtout des forêts d'Afrique tropicale (où la maladie est endémique), se transmet à l'humain depuis l'animal, et aussi d'humain à humain par contact de matières issues de lésions cutanées ou de sécrétions (pas forcément sexuelles) et a des conséquences analogues à celles subies avec la variole (humaine) mais moins graves : éruption pustuleuse, fièvre, problèmes respiratoires, etc. La létalité est de l'ordre de 1% à 10%, ce qui reste beaucoup (nettement supérieure à celle du covid-19), touchant principalement les très jeunes enfants et les personnes immunodéprimées (en particulier celles atteintes du sida), en raison des complications des formes graves qui sont : surinfection bactérienne de la peau, déshydratation, pneumonie, cécité (par infection de la cornée), encéphalite et septicémie. Les soins appropriés et connus (soins des symptômes) permettent le rétablissement des personnes atteintes après une période donnée, et la vaccination contre la variole (humaine) apporte une protection très efficace contre cette maladie (efficacité de 85%). Donc, première source pour être rassuré, cette maladie est beaucoup mieux connue que le très nouveau covid-19 en janvier 2020. De plus, on a les outils pour s'en prémunir ou la soigner, au contraire du covid-19 (et, semble-t-il, pas avec de l'hydroxychloroquine !).

    Le virus mpox a été découvert et isolé en 1958 sur un singe à Copenhague. Des épidémies de mpox ont eu lieu dans les années 1960 principalement sur des singes venus d'Asie et transportés en Europe, et leur infection a eu lieu pendant leur transport, notamment avec d'autres animaux, dont des animaux africains contaminés car le virus provient d'Afrique. Ce n'est qu'en 1969 que ce virus a été distingué du virus de la variole humaine. Le premier cas humain de mpox a été découvert en 1970 à Basankusu au Zaïre (République démocratique du Congo) sur un enfant dans le cadre de la surveillance de la variole par l'OMS. Pendant plusieurs décennies, la variole simienne est restée une maladie très rare en Afrique (quelques centaines de cas par épidémies). Les années 2010 ont connu une augmentation importante du nombre de cas humains (d'un facteur dix). À la fin des années 2010, plusieurs milliers de cas ont été détectés en République démocratique du Congo, Nigeria et Centrafrique. Entre 2000 et 2022, quelques cas ont été signalés hors d'Afrique, en particulier aux États-Unis où a eu lieu une épidémie de mpox en 2003 (propagée dans le Midwest par des rongeurs importés du Ghana comme nouveaux animaux domestiques).

     

     
     


    La première épidémie mondiale de mpox provoquée par le clade IIb a eu lieu en 2022-2023. Le premier cas a été détecté à Londres le 6 mai 2022 sur un patient revenant du Nigeria. Cette épidémie a touché l'Europe (le 16 juin 2022, 183 cas de mpox ont été détectés en France), en Amérique, Asie, etc. touchant 113 pays. L'OMS a enregistré 83 943 cas confirmés en laboratoire et 75 décès pour l'année 2022. L'urgence de santé publique de portée internationale a été déclarée par l'OMS le 23 juillet 2022 et a été levée le 11 mai 2023 avec le contrôle de la propagation de la maladie. Quelques cas de mpox de clabe IIb ont été encore signalés après janvier 2024 dans des pays non endémiques, mais très peu. Le pic de cette épidémie a eu lieu en juillet 2022 en France et a concerné 2 749 personnes atteintes. Sur l'ensemble du monde, au 28 juillet 2024, cette épidémie a touché 99 388 personnes (cas confirmés) et provoqué 208 décès dans 116 pays (depuis janvier 2022).

    La précédente déclaration d'urgence de santé publique de portée internationale a été faite le 30 janvier 2020 pour la pandémie de covid-19, et les trois précédentes encore pour le virus Ebola les 8 août 2014, 1er février 2016 et 17 juillet 2019. Cette déclaration signifie que tous les États du monde doivent prendre des mesures pour empêcher le développement d'une pandémie qui pourrait être une catastrophe mondiale (comme ce fut le cas pour le covid-19 dont on ne connaissait rien au contraire du virus Ebola et du virus mpox). Cela a été aussi le cas pour la pandémie de grippe A (H1N1) le 26 avril 2009, et je répète que les mesures de viglance prises à l'époque par la Ministre de la Santé, à savoir Roselyne Bachelot, ont été responsables et sages, dans l'intérêt de santé publique ; il valait mieux trop protéger que pas assez, critique faite au début de la crise du covid-19 (absence de masque, de tests, de vaccins, etc.).
     

     
     


    La seconde épidémie mondiale de mpox a lieu en ce moment et c'est pour cela que la variole du singe est revenue dans l'actualité, déclarée urgence de santé publique de portée internationale ce mercredi 14 août 2024 par Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'OMS : « Le risque de propagation en Afrique et partout dans le monde est très inquiétant. ». Il s'agit d'une nouvelle souche du virus mpox, le clade Ib, plus mortelle et plus contaminante, et c'est cela qui inquiète l'OMS et les responsables de santé publique de tous les pays. Le premier cas confirmé de cette épidémie a été détecté en septembre 2023 dans le Sud-Kivu en République démocratique du Congo. À ce jour, cette épidémie a atteint 16 127 personnes (cas confirmés) et a provoqué 554 décès (des enfants de moins de 15 ans pour plus de 60% des décès), dans 15 pays dont 13 pays africains (très grande majorité des cas sont en République démocratique du Congo), ce qui fait une létalité d'environ 4%.

    Et l'inquiétude, au-delà de cette souche particulièrement agressive, c'est qu'un cas a été détecté à Stockholm, en Suède, le 15 août 2024 et 3 cas au Pakistan le 16 août 2024. La chef intérimaire de l'Agence suédoise de santé publique Olivia Wigzell a déclaré au cours d'une conférence de presse : « La personne touchée (qui vit dans la région de Stockholm) a été infectée lors d’un séjour dans une région d’Afrique où sévit une importante épidémie de mpox du sous-type clade Ib. (…) Nous estimons que la Suède est bien préparée pour diagnostiquer, isoler et traiter les personnes atteintes de mpox de manière sûre et efficace (…). Qu’une personne soit traitée pour le mpox dans le pays n’implique pas de risques pour le reste de la population ». Pour le premier cas confirmé au Pakistan, le Ministère pakistanais de la Santé a précisé que la personne atteinte, un homme de 23 ans, venait d'un pays du Golfe persique (par leurs liaisons aériennes internationales, les Émirats arabes unis sont systématiquement touchés par les épidémies internationales et ont recensé depuis 2022 déjà 16 cas de mpox, toute souche confondue).

    Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a considéré que le risque d'une contamination massive est très faible à ce jour. Néanmoins, sa directrice générale Pamela Rendi-Wagner a recommandé la plus grande surveillance : « En raison des liens étroits entre l’Europe et l’Afrique, nous devons nous préparer à un plus grand nombre de cas importés de clade Ib. ».

    L'OMS a déclaré l'urgence internationale car le nombre de cas en 2024 en Afrique a augmenté de 160% en un an. Depuis janvier 2022, le nombre de cas de mpox est de 38 465 cas dans 16 pays (africains) et de 1 456 décès, pour les deux souches (clade IIb et clade Ib). Je reconnais que ces chiffres sont un peu contradictoires avec les autres statistiques que j'ai fournies juste avant pour l'un ou l'autre des sous-types du virus. Je n'ai pas précisé les sources de ces statistiques, mais elles émanent d'agences nationales ou internationales de surveillance sanitaire différentes qui ont leur propre mode de calculs ou qui prennent en compte ou pas certaines données.
     

     
     


    Ce qu'on sait en tout cas, c'est que la situation épidémique est très grave en République démocratique du Congo qui représente plus de 95% des contaminations. En juillet 2024, le gouvernement congolais a reconnu une « augmentation exponentielle » du nombre de cas, alors que le dépistage et la surveillance restent encore partielles. Louis Albert Massing, coordinateur MSF en RDC, a évoqué la particularité de certaines régions de ce pays : « La maladie a été enregistrée dans les camps de déplacés autour de Goma, au Nord-Kivu, où l'extrême densité de la population rend la situation très critique. Les risques d'explosion sont réels vu les énormes mouvements de population. » (cité par Blue News le 7 août 2024). Maria van Kerkhove, directrice de la prévision des épidémies à l'OMS, a pondéré la forte hausse de 2024 avec une meilleure capacité de dépistage, mais est restée toutefois très préoccupée de cette flambée.

    La gravité accrue de la nouvelle souche du mpox mérite certainement l'alerte maximale. Trudi Lang, la chercheure à l'origine de la détection de cette nouvelle souche, a expliqué auprès de Gavi.org (organisation internationale visant à améliorer l'accès aux vaccins pour les enfants des pays les plus pauvres) : « Nous observons avec cette nouvelle souche des éruptions cutanées généralisées sur tout le corps, en plus de lésions génitales dans certains cas. Les symptômes ont tendance à durer plus longtemps. Les cas graves montrent une mortalité de 5% chez les adultes et de 10% chez les enfants (…). En outre, les femmes infectées pendant la grossesse perdent leur fœtus, ce qui ajoute à la gravité de la situation. » (cité par Futura Sciences). Leandre Murhula Masirika, participant également à la détection du premier cas, a ajouté : « Certains patients, même après leur guérison, continuent de se plaindre de problèmes oculaires, cutanés ou génitaux. Nous avons donc lancé un projet pour étudier les effets à long terme de cette infection. ».

    La Chine populaire a renforcé le 16 août 2024 les contrôles aux frontières sur les personnes et les biens susceptibles d'avoir été en contact avec le virus mpox. De son côté, le Premier Ministre français démissionnaire Gabriel Attal a déclaré ce vendredi 16 août 2024 en début de soirée, sur Twitter : « Depuis le déclenchement de l’épidémie de mpox en 2022, nous avons rigoureusement appliqué le triptyque : surveillance, diagnostic rapide, vaccination. Nous n’avons jamais baissé la garde. Ainsi, ce sont 152 500 vaccinations qui ont été réalisées. La circulation du virus a été contenue : 4 975 cas recensés en 2022, 52 en 2023 et 107 depuis le 1er janvier 2024. Ces derniers jours, face à l’apparition d’un nouveau variant et à une accélération de la circulation du virus en Afrique, l’OMS et l’ECDC ont rehaussé le niveau d’alerte. J’ai tenu aujourd’hui un point de situation avec Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux. À la suite de cette réunion, nous plaçons notre système de santé en état de vigilance maximale. (…) Nous saisissons sans délai les autorités sanitaires pour qu’elles statuent sur la conduite à tenir en matière d’actualisation des recommandations sur les populations cibles en vaccination. Par ailleurs, conformément à nos valeurs de solidarité internationale et à la priorité sanitaire de contenir le foyer épidémique en Afrique, nous avons décidé, à la demande du Président de la République, de réaliser un don de vaccins aux pays les plus touchés. Notre système de santé est sur ses gardes. Nous nous tenons prêts à tous les scénarios pour faire évoluer les consignes à la population en fonction de l’évolution du virus et maintenir ainsi le haut niveau de vigilance adopté depuis 2022. ». Un nouveau point sera fait mardi 20 août 2024. Le premier centre parisien de vaccination contre le mpox a ouvert le mercredi 7 août 2024.
     

     
     


    L'un des producteurs de vaccins contre la variole, Bavarian Nordic (danois), s'est déclaré prêt le 15 août 2024 à produire jusqu'à 10 millions de doses du vaccin d'ici à 2025, il en dispose déjà 500 000 doses en stock. Certains pays comme les États-Unis sont prêts à proposer des vaccins principalement aux enfants et adolescents de 12 à 17 ans, qui risquent des complications plus graves que les adultes bien portants. Actuellement, il existe deux vaccins contre la variole, et l'OMS souhaite autoriser des mises sur le marché accélérée pour d'autres vaccins afin de faire face à la demande. S'il existe des antiviraux capables d'accompagner les symptômes parfois graves de la maladie, il n'existe aucun médicament pour guérir le mpox et la meilleure protection reste la vaccination auprès des populations à risque (enfants et personnes immunodéprimées), même administrée après contamination.

    On connaît encore mal le mode de transmission du virus mpox, si ce n'est le contact pour la transmission d'humain vers humain. Le centre régional d'information pour l'Europe occidentale des Nations Unis a ainsi expliqué le 16 août 2024 : « La variole du singe est une maladie infectieuse causée par un virus transmis à l’homme par des animaux infectés, mais qui peut aussi se transmettre d’homme à homme par contact physique étroit. La variole se caractérise par une éruption ou des lésions cutanées généralement concentrées sur le visage, la paume des mains et la plante des pieds. Dans la plupart des cas, la maladie guérit spontanément en deux ou trois semaines. (…) Le taux de mortalité reste en dessous de 4%. (…) L’OMS encourage tous les pays à renforcer la surveillance, à partager les données et à travailler pour mieux comprendre la transmission du virus. Il existe deux vaccins homologués et efficaces contre le mpox. Plusieurs études ont montré que la vaccination contre la variole "classique" était efficace à 85% pour prévenir le mpox. Le fait d’avoir été vacciné auparavant contre la variole peut entraîner une maladie moins grave. Cependant le vaccin contre la variole n’est plus administré depuis l’éradication de cette maladie en 1980. ». L'ONU a de plus exhorté les pays à « partager les outils tels que les vaccins et à appliquer les leçons tirées des précédentes urgences de santé publique de portée internationale pour faire face à l’épidémie actuelle ».

    Il n'y a donc aujourd'hui pas de quoi paniquer, surtout pour les personnes qui ont déjà été vaccinées contre la variole (avant 1980), mais il faut garder une vigilance maximale pour éviter ou circonscrire une flambée internationale des cas de mpox. Ah, au fait, Emmanuel Macron n'y est pour rien, il a un alibi : il était aux Jeux olympiques !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 août 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
    Covid : attention au flirt !
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Lulu la Pilule.
    La victoire des impressionnistes.
    Science et beauté : des aurores boréales en France !
    Le Tunnel sous la Manche.
    Peter Higgs.
    Georges Charpak.
    Gustave Eiffel.
    Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
    Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
    Covid : la contre-offensive du variant Eris.
    Hubert Reeves.
    Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
    Des essais cliniques sauvages ?
    John Wheeler.
    La Science, la Recherche et le Doute.
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Louis Pasteur.
    Howard Carter.
    Alain Aspect.
    Svante Pääbo.
    Frank Drake.
    Roland Omnès.
    Marie Curie.


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240817-mpox.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/variole-du-singe-mpox-ils-nous-256353

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/16/article-sr-20240817-mpox.html




     

  • Élections sud-africaines 2024 : l'érosion historique de l'ANC

    « Une partie de la population estime que l'ANC n'a pas tenu ses promesses, à savoir le développement économique, l'accès aux services de base comme l'électricité et l'eau, et la lutte contre la pauvreté, la corruption et le chômage, dont le taux est, officiellement, de 34%. (…) La corruption est un autre facteur du désamour des électeurs pour l’ANC. » (RFI le 02 juin 2024).



     

     
     


    Près de 28 millions d'électeurs sud-africains ont été convoqués ce mercredi 29 mai 2024 pour deux élections. En effet, à cette date se sont déroulées des élections législatives pour élire l'Assemblée Nationale (la Chambre basse) et des élections provinciales pour élire les membres des assemblées provinciales des neuf régions d'Afrique du Sud.

    Pour les élections nationales, les 400 députés sud-africains sont élus pour un mandat de cinq ans au scrutin proportionnel, 200 sur une seule circonscription nationale, et 200 autres répartis dans les neuf provinces. Sy Mamabolo, le directeur des élections de la Commission électorale s'est exprimé le 1er juin 2024 au Results Operation Centre, à Johannesburg, avant la cérémonie de l'annonce des résultats qui a dû avoir lieu ce dimanche 2 juin 2024 à 18 heures, heure de Paris. Peu après les élections législatives, les députés devront élire le Président de la République pour cinq ans.


    Le premier enseignement de ces élections est la descente continue de l'ANC, le Congrès national africain, historiquement, le parti de Nelson Mandela, qui, pour la première fois, a perdu la majorité absolue des sièges, ainsi que des suffrages exprimées. En cela, ce sont des élections historiques.
     

     
     


    En effet, depuis la fin de l'apartheid (depuis trente ans), l'ANC a toujours été hégémonique sur le plan électoral, obtenant systématiquement la majorité absolue des sièges. Parti fondé le 8 janvier 1912 qui avait été interdit à l'époque de l'apartheid, son arrivée au pouvoir était attendue au début des années 1990 pour défendre les populations les moins favorisées. Il fait office presque d'un parti unique, ce qu'il n'a jamais été en droit puisque depuis 1994, la République d'Afrique du Sud est une démocratie et donc, un régime où règne bien entendu le pluralisme des partis politiques. Mais dans les faits, l'ANC était le maître de l'Afrique du Sud pendant trois décennies, et son président était systématiquement élu Président de la République. Même le parti de l'ancien Président Frederik De Klerk avait rejoint l'ANC.

    Du reste, son président actuel, depuis le 18 décembre 2017, Cyril Ramaphosa (71 ans) est le Président de la République depuis 14 février 2018, élu une première fois le 15 février 2018 (il était le Vice-Président de la République et a succédé provisoirement à Jacob Zuma après sa démission), réélu le 22 mai 2019 et la prochaine élection présidentielle dans quelques jours va sans doute conduire à beaucoup de négociations avec les autres partis. L'ANC va devoir composer, et c'est très nouveau dans le jeu politique sud-africain.

     

     
     


    Depuis 2009, l'ANC n'a en effet jamais cessé de décroître aux élections, mais avait jusqu'à maintenant toujours réussi à maintenir sa majorité absolue. Aujourd'hui, l'ANC reste encore le premier parti d'Afrique du Sud, mais il va devoir composer avec d'autres partis. C'est aussi la confirmation que l'ANC n'a plus le monopole du cœur des électeurs, ce qui a été déjà pressenti lors des élections locales de novembre 2021.

    La principale raison est le désenchantement croissant du peuple vis-à-vis d'un parti, l'ANC, de plus en plus hors sol. La correspondante de RFI à Johannesburg, Claire Bargelès, a interrogé notamment un septuagénaire en colère : « Je veux changer le gouvernement, car ils ne font rien pour nous. Cela va du fait que beaucoup de jeunes sont sans emploi aux fuites d’eaux dans les rues. Ils ne font rien et ne sont pas bons pour nous. ». De son côté, journaliste du service Afrique à RFI, Alexandra Brangeon a interrogé Anele Hammond, considérée comme une intellectuelle sud-africaine : « L’ANC a déçu absolument tout le monde et je ne parle même pas que d’un point de vue économique. Ils se font passer pour un mouvement révolutionnaire qui aide les plus pauvres, mais ce n’est pas le cas. Ce que je déteste le plus, et que j’observe depuis trente ans, c’est comment à chaque élection, ils dupent les plus pauvres, en leur rappelant les souffrances du passé, sous l’apartheid. Et une semaine après, ils nous ont oubliés. ». Une électrice de 50 ans a témoigné aussi sa colère contre l'ANC : « Ils détruisent tout au sein de notre pays, et ne réalisent jamais les promesses qu’ils font auprès de nous, au sein des communautés. ».

    On rappelle aussi que les "Born free", ceux qui sont nés libres parce que nés après la fin de l'apartheid, n'ont aucune loyauté envers l'ANC qu'ils n'ont jamais connu comme mouvement de résistance de Nelson Mandela. Ils sont donc dans le jeu classique des partis politiques et ont préféré l'opposition en raison d'un bilan peu flatteur de l'ANC depuis trente ans, en particulier sur la situation économique (plus de 45% des jeunes sont au chômage !) et aussi la corruption, surtout sous la Présidence de Jacob Zuma, plombé par de nombreux scandales politico-financiers.

    Maître de conférence à l'Université de Wits, Hlengiwe Ndhlovu a confirmé l'analyse : « Je pense que l'ANC a fini par perdre le contact avec la population. Le charisme des anciens cadres a disparu et une nouvelle génération de cadres se montre arrogante. ». Et l'enseignante d'expliquer : « On est arrivé à ces élections avec des Sud-Africains qui se sont dit : "je me fiche de savoir si ton parti a deux ou six mois, comme le MK qui n'a ni programme ni structure, n'a pas fait ses preuves et ne promet rien. N'importe qui, mais pas l'ANC". ». RFI a ainsi cité l'exemple de cadres de l'ANC qui faisaient campagne dans les quartiers pauvres ...en roulant dans des Mercedes blindées ! En gros, les électeurs ont réagi en se disant : tout mais pas l'ANC !

    Pour les résultats, on connaît déjà la participation, officiellement de 58,6% des électeurs inscrits, à comparer aux précédentes élections législatives du 8 mai 2019 où la participation était de 66,0%.
     

     
     


    Quant aux partis, l'ANC reste donc le premier parti d'Afrique du Sud mais a perdu 3,5 millions d'électeurs avec seulement (au dernier décompte) 6 459 683 voix, soit 40,2% des suffrages exprimés (en 2019, 57,5% des voix), ce qui devrait faire que l'ANC n'obtiendrait que 159 sièges sur 400 au total, au lieu des 230 obtenus en 2019 (la majorité absolue est à 201 sièges).

    Deux grands partis d'opposition continuent à faire beaucoup de voix mais restent stables, l'Alliance démocratique (DA), menée par John Steenhuisen, en deuxième place, qui a eu 21,8% des voix et probablement 87 sièges (en 2019, 20,8% des voix et 84 sièges), ainsi que les Combattants pour la liberté économique (EFF), menés par Julius Malema, en quatrième place avec 9,5% des voix et probablement 39 sièges (en 2019, 10,8% des voix et 44 sièges).
     

     
     


    Ce qui a particulièrement handicapé électoralement l'ANC (avec une perte de 71 sièges), c'est la survenue étonnante, dans le paysage électoral, d'un nouveau parti, le parti uMkhonto we Sizwe (MK), un parti populiste d'extrême gauche fondé très récemment, en décembre 2023, issu d'une scission de l'ANC et émanant de l'ancien Président Jacob Zuma qui, à plus de 82 ans, n'était pas lui-même candidat à ces élections. On parle d'ailleurs du phénomène MK à ces élections car il a su convaincre malgré son inexpérience, en se hissant à la troisième place avec 14,6% des voix (plus de 2,3 millions d'électeurs) et probablement 58 sièges. Cela n'explique pas à lui seul l'érosion de l'ANC à qui manque encore un million d'électeurs. Le reste des sièges (57 sièges restants) est a priori à partager aux autres formations politiques qui ont obtenu moins de 5% des voix (avec peut-être quelques unités de différence dans les résultats pour les grands partis à la fin des calculs que ceux annoncés ici ; a priori ces résultats seraient définitifs).

    Le dépouillement de ces élections a été très observé et de nombreux partis ont demandé un recomptage des bulletins. La prochaine étape, c'est l'élection présidentielle avec la nécessité pour Cyril Ramaphosa de trouver une majorité. Une nouvelle situation que oblige l'Afrique du Sud à rechercher le moyen de construire une coalition de plusieurs partis, cohérente et efficace, durable aussi, comme c'est le cas de tous les pays qui utilisent le scrutin proportionnel. L'enjeu pour l'Afrique du Sud est donc très élevé puisqu'il s'agit de la stabilité politique du pays le plus important du continent africain.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Élections sud-africaines 2024 : l'érosion historique de l'ANC.
    Desmond Tutu.
    Frederik De Klerk.
    Pik Botha.
    Le centenaire de Nelson Mandela.
    Cyril Ramaphosa.
    Le prédicateur tempétueux.
    L’Afrique du Sud.
    L'Afrique du Sud de Pieter Botha.
    L'Afrique du Sud de Frederik De Klerk.
    L’Afrique du Sud de Nelson Mandela.
    L’Afrique du Sud de Thabo Mbeki.
    L’Afrique du Sud de Jacob Zuma.
    Robert Mugabe.
    Morgan Tsvangirai.
    L’anti-Mandela du Zimbabwe.


     

     
     
     
     
     
     







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240529-afrique-du-sud.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/elections-sud-africaines-2024-l-254966

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/01/article-sr-20240529-afrique-du-sud.html