« (…) Par ces motifs (…), la Cour, sur le pourvoi formé par M. I, le rejette ; sur les pourvois formés par M. et Mme N, casse et annule l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mai 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées (…). » (Arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2024).
C'est toujours étrange de s'apercevoir que la conclusion d'une affaire politico-judiciaire qui a hanté toute la campagne présidentielle de 2017, matin midi et soir, est si peu médiatisée sept ans plus tard, quand plus aucun enjeu électoral n'est en cours. Par son arrêt n°22-83.466 FS-B N°00382 MAS2, la Cour de Cassation a en effet confirmé le mercredi 24 avril 2024 la décision de la cour d'appel de Paris du 9 mai 2022 sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant, dans son affaire mettant en cause l'emploi de collaboratrice parlementaire de son épouse, en particulier sa condamnation pour détournement de fonds publics et complicité. Par conséquent, la condamnation de François Fillon est définitive.
Rappelons que la chambre 2-12 de la cour d'appel de Paris a condamné le 9 mai 2022 : François Fillon « pour détournement de fonds publics et complicité, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à quatre ans d’emprisonnement dont trois ans avec sursis, 375 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité » ; son suppléant « pour détournement de fonds publics à trois ans d’emprisonnement avec sursis et cinq ans d’inéligibilité » ; et son épouse « pour complicité de détournements de fonds publics, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à deux ans d’emprisonnement avec sursis, 375 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité ».
Avant de poursuivre sur le plan juridique (et judiciaire), je me permets un petit commentaire politique. En tant qu'électeur de François Fillon au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, j'ai trouvé assez peu sain dans une démocratie que la justice soit allée aussi rapidement dans la mise en examen d'un grand candidat à l'élection présidentielle (initialement le favori, même), après seulement quelques scoops dans la presse à sensation. On pourra me répondre aujourd'hui que la justice avait raison puisque la condamnation est désormais définitive.
Je respecte bien entendu la justice de mon pays, mais je reste toujours dubitatif sur une possible politisation de la justice (dont je n'accuse absolument pas le principal bénéficiaire, à savoir Emmanuel Macron qui a profité surtout d'un contexte très favorable à plusieurs titres). Au cours de mon engagement politique qui remonte à il y a plus de trente ans, j'ai eu l'occasion de voir des "pratiques", aujourd'hui révolues, qui étaient bien plus scandaleuses que ce qui a condamné François Fillon. L'un des défauts structurels pendant longtemps a été que le parlementaire était le propre employeur de ses collaborateurs. En d'autres termes, le parlementaire recevait l'argent d'une enveloppe globale concernant le salaire de ses collaborateurs... et il en faisait ce qu'il voulait. Heureusement, cela a évolué et cela passe maintenant par une structure tiers, son assemblée d'origine. Le parlementaire doit agir dans la plus grande liberté et sans pression, mais cela n'empêche pas qu'il doit rester honnête (c'est d'ailleurs le minimum qu'on peut demander à celui qui fait la loi, celui de l'appliquer).
La justice n'a pas condamné François Fillon d'avoir recruté son épouse comme collaboratrice parlementaire car ce n'était pas interdit à l'époque (maintenant, si), mais parce que ladite collaboratrice n'aurait rien fait malgré sa rémunération. Comme elle a travaillé jusqu'en 2013, il est toujours difficile de montrer qu'elle a travaillé ou même qu'elle n'a pas travaillé. Beaucoup de documents peuvent avoir été jetés,. perdus, détruits. Et les oublis arriver.
L'autre côté malsain, c'est la volonté de la justice de vouloir savoir et même juger de la manière de travailler des parlementaires. Or, la démocratie impose la séparation des pouvoirs et les parlementaires, dont la légitimité (au contraire des juges) est absolue puisqu'elle vient du peuple, n'a ni leçon à prendre ni compte à rendre à la justice sur sa manière de travailler qui doit d'ailleurs rester parfois confidentielle. Il en est de même pour des ministres sur la gestion de la crise du covid-19 : la justice n'a pas à se substituer au peuple ou aux parlementaires dans l'appréciation de la politique menée par un gouvernement.
Ces considérations politiques étant écrites, j'en reviens aux considérations juridiques, car un arrêt de la Cour de Cassation, c'est d'abord la procédure et pas le fond (même si cela peut l'être parfois). Car dans son malheur, François Fillon peut quand même avoir une petite satisfaction.
En effet, si la décision de la cour d'appel sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant (qui, lorsque François Fillon était ministre ou Premier Ministre, avait continué à rémunérer Pénélope Fillon comme collaboratrice parlementaire) a été validée, ce qui rend cette reconnaissance de culpabilité définitive (on va dire quasiment définitive, car il y a encore un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui serait étonnant car certains élus du même parti voulaient que la France se désengage de la CEDH), la Cour de Cassation a néanmoins cassé la décision de la cour d'appel concernant les peines prononcées à l'égard de François Fillon et les dommages et intérêts à verser. En revanche, les peines prononcées à l'égard de l'épouse et du suppléant ont été validées et sont donc définitives (car aucun des deux n'a été condamné à une peine de prison ferme).
Maître Éric Landot, avocat brillant qui tient de manière très assidue un blog très instructif, a ainsi fait une petite note de synthèse au lendemain de la décision de la Cour de Cassation. On y apprend ainsi quelques éléments intéressants du droit et de la politique.
Par exemple, les élus n'ont pas le droit, depuis longtemps, de recruter un membre de leur famille au titre d'un emploi public : c'est « une prise illégale d'intérêts au pénal et une illégalité en droit administratif ». C'est l'article 432-12 du code pénal qui régit cette infraction. Même un lien d'amitié établi suffit à constituer la prise illégale d'intérêts. Le blog propose plusieurs affaires dont le cas d'un élu qui a recruté sa sœur comme directrice générale des services (DGS), numéro une de l'administration de la collectivité locale en question (arrêt du 4 mars 2020).
En revanche, les parlementaires, avec leurs collaborateurs parlementaires, ne sont pas dans la même situation que les élus d'une collectivité avec leur administration. C'est pour cela que les poursuites n'ont pas été fondées sur la prise illégale d'intérêts mais sur le détournement de fonds publics, l'abus de biens sociaux et leurs recels. Comme je l'ai écrit plus haut, on n'a donc pas reproché Pénélope Fillon d'être l'épouse du député qui l'a recrutée mais de n'avoir rien fait en tant que collaboratrice parlementaire.
Maître Éric Landot insiste sur la validation de la cour d'appel par la Cour de Cassation : « Elle juge notamment que le principe de séparation des pouvoirs n’interdit pas au juge judiciaire de vérifier qu’un contrat de travail conclu entre un parlementaire et un de ses collaborateurs a réellement été exécuté, dès lors qu’il s’agit d’un contrat de droit privé. Le député, son épouse et le suppléant sont donc définitivement déclarés coupables, notamment de "détournements de fonds publics par personne chargée de mission de service public" et complicité de cette infraction. ».
En revanche, François Fillon repassera devant un tribunal (sa condamnation sera rejugée par la cour d'appel), non pas pour être jugé sur sa culpabilité (elle est définitivement établie) mais pour redéfinir sa peine. En effet, il a été condamné le 9 mai 2022 à quatre d'emprisonnement dont trois avec sursis, donc à un an de prison ferme.
Le blog du juriste explique simplement la raison de cette invalidation partielle : « Cette cour n’avait pas pris soin de justifier des raisons pour lesquelles elle avait prononcé une peine partiellement ferme (même si une peine d’un an ne conduit en pratique qu’au bracelet électronique), alors que c’est obligatoire de le faire (en se fondant sur la gravité de l’infraction, la personnalité de son auteur et l’existence ou non de sanction alternative adéquate). Or, en condamnant le député, le juge d’appel n’a pas expliqué en quoi une autre sanction que la peine d’emprisonnement sans sursis aurait été manifestement inadéquate. D’où une censure de la Cour de Cassation. ».
Le montant des dommages et intérêts que François Fillon et son épouse devront verser à l'Assemblée Nationale sera également rejugé par la cour d'appel. L'explication d'Éric Landot : « La Cour de Cassation casse la décision de la cour d’appel en ce qu’elle condamne le député et son épouse à rembourser à l’Assemblée Nationale l’intégralité des salaires versés. En effet, les juges ont constaté que si les rémunérations versées étaient manifestement disproportionnées au regard du travail fourni, elles n’étaient pas dénuées de toute contrepartie. ».
Concrètement, une peine de prison ferme ne se justifie pas pour François Fillon. Ce nouveau procès un peu particulier pourra-t-il redorer son honneur ? Certainement pas, car la reconnaissance de sa culpabilité est définitive. Il a été piégé par une trop grande confiance en lui. Et surtout une arrogance politique pour écraser ses deux adversaires de son parti, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Des trois, c'est celui qui a le mieux réussi à tourner la page de la vie politique pour aller quérir d'autres fortunes dans d'autres contrées. C'est peut-être cela le plus tragique pour lui : que sa condamnation définitive n'a même pas fait les grands titres des journaux. Lui qui était promis à devenir Président de la République.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Fillon définitivement condamné.
Rapport de la commission d'enquête n°1311 de l'Assemblée Nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères (enregistré le 1er juin 2023).
François Fillon, vendeur de rillettes sur la place Rouge !
Et voici que François Fillon revient...
A-t-on volé l’élection de François Fillon ?
François Fillon, victime de la morale ?
Une affaire Fillon avant l’heure.
François Fillon, artisan de la victoire du Président Macron.
Matignon en mai et juin 2017.
François Fillon et son courage.
Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
Macron ou Fillon pour redresser la France ?
François Fillon, le seul candidat de l’alternance et du redressement.
Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).
L’autorité et la liberté.
Un Président exemplaire, c’est…
Interview de François Fillon dans le journal "Le Figaro" le 20 avril 2017 (texte intégral).
Interview de François Fillon dans le journal "Le Parisien" le 19 avril 2017 (texte intégral).
Discours de François Fillon le 15 avril 2017 au Puy-en-Velay (texte intégral).
Discours de François Fillon le 14 avril 2017 à Montpellier (texte intégral).
Discours de François Fillon le 13 avril 2017 à Toulouse (texte intégral).
Tribune de François Fillon le 13 avril 2017 dans "Les Échos" (texte intégral).
Discours de François Fillon le 12 avril 2017 à Lyon (texte intégral).
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-fillon.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-fillon-definitivement-254349
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240424-fillon.html
premier ministre - Page 11
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François Fillon définitivement condamné
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La vision européenne décevante d'Édouard Balladur
« Mon engagement dans cette action est total. Seul son succès m'importe. Je m'y dévouerai exclusivement. (…) Ce sera difficile ? A coup sûr. Périlleux ? Peut-être. Indispensable ? Évidemment. (…) N'ayons pas peur du risque. Ensemble, nous allons bâtir le nouvel exemple français. » (Édouard Balladur, le 8 avril 1993 dans l'hémicycle).
95 ans. C'est l'âge qu'atteint Édouard Balladur ce jeudi 2 mai 2024. Un âge canonique qui le fait intégrer dans le petit cercle des potentiels centenaires de la vie politique, comme l'est déjà Roland Dumas, et que n'ont pas été Jacques Delors et Robert Badinter (à quelques années près).
S'il n'a pas été le premier des princes, à savoir Président de la République (il a raté la première marche le 23 avril 1995 avec seulement 18,6% des suffrages exprimés), Édouard Balladur, auteur de vingt-deux essais, a cependant eu deux rôles très importants dans la Cinquième République, celui de Premier Ministre entre 1993 et 1995, et celui de candidat à l'élection présidentielle, grand candidat, c'est-à-dire potentiellement gagnant. Et j'ajouterai aussi un rôle de théoricien, celui de la cohabitation par un article publié le 16 septembre 1983, cohabitation dont il fut doublement acteur.
Édouard Balladur a bénéficié de sondages étonnamment flatteurs pendant sa période d'exercice du pouvoir. En général, quand on gouverne, on est impopulaire. Mais il a gouverné de manière à ne mécontenter personne. En ce sens, il a été peu courageux dans les réformes économiques et sociales (dont on ne retiendra pas ni les privatisations, loi n°93-923 du 19 juillet 1993, ni la réformette sur les retraites, loi n°93-936 du 22 juillet 1993, une des premières), les remettant après l'élection présidentielle. De plus, un jeu d'écriture comptable a allègrement faussé la réalité des finances publiques.
En 1995, tous les leaders de l'UDF soutenaient le Premier Ministre Édouard Balladur dans son aventure électorale. Pour la confédération des partis centristes, il était l'homme idéal pour dégager définitivement Jacques Chirac de la vie politique. Membre moi-même de l'UDF, j'avais une analyse très différente. À l'origine, j'appréciais peu Jacques Chirac parce que j'avais fait campagne pour Raymond Barre en 1988 et j'ai vu le bull-doser chiraquien avec sa mauvaise foi, ses éléments de langage et sa machine électorale redoutable. Toutefois, dès lors que l'UDF serait absente directement de l'échéance présidentielle de 1995, ma réflexion se posait sur le choix entre Édouard Balladur et Jacques Chirac.
Pour moi, en dehors de la personnalité qui leur est propre, aucune différence notable dans le programme politique n'existait, ce qui était d'autant plus vrai que c'était Jacques Chirac qui avait proposé Édouard Balladur à Matignon (du 29 mars 1993 au 17 mai 1995) après la vaste victoire de l'union UDF-RPR en mars 1993. De plus, Édouard Balladur, très proche du Président Georges Pompidou (il a été le Secrétaire Général adjoint, puis Secrétaire Général de l'Élysée du 5 avril 1973 au 2 avril 1974), et Jacques Chirac était lui-même le poulain de Georges Pompidou, ils provenaient donc de la même branche du gaullisme historique, celle du conservatisme social et libéral de la bourgeoisie de province. En outre, les supputations pour Matignon restaient les mêmes quelle que fût la victoire, Alain Juppé aurait été probablement nommé dans tous les cas, par Jacques Chirac qu'il avait soutenu loyalement sans plus trop y croire comme par Édouard Balladur qui aurait besoin de raccommoder sa majorité (à l'époque, on parlait aussi de Charles Pasqua puis de Nicolas Sarkozy à Matignon en cas d'élection d'Édouard Balladur).
Donc, dans ma réflexion, mon choix devait partager des personnalités et pas des programmes politiques. Or, Jacques Chirac avait pour une fois la position de recul que n'avait pas Édouard Balladur. Ce dernier montrait une réelle distance avec le "vrai peuple", une distance assez méprisante voire arrogante, bien plus grande encore que Valéry Giscard d'Estaing sans son intelligence et son niveau d'analyse. Édouard Balladur était un rond-de-cuir de la politique qui a saisi une occasion improbable, celle d'être au pouvoir et de gérer le pays un peu par hasard et certainement pas pour faire l'histoire. Son thème de campagne était de « croire en la France » mais il fallait d'abord croire en Balladur.
Jacques Chirac, dans le rôle du trahi et plus du traître qu'il a souvent été (Jacques Chaban-Delmas en 1974, Valéry Giscard d'Estaing en 1981, Raymond Barre en 1988, etc.), a fait d'ailleurs une excellente campagne présidentielle, partant justement du peuple, rencontrant toutes les forces vives du pays sans caméras, pour mieux comprendre la France et les Français. Son thème de la fracture sociale, suggéré par Philippe Séguin, était excellent, à tel point qu'il a réussi à rassembler également des suffrages d'électeurs de gauche déboussolés par l'effondrement du PS et les révélations sur le passé de François Mitterrand.
Mon vote Chirac a donc été par défaut mais dès le premier tour, et je ne l'ai pas regretté en 2007, à la fin de ses deux mandats, même si j'étais fermement opposé à deux de ses décisions présidentielles importantes, la dissolution de 1997 et le référendum sur le quinquennat de 2000. Que reste-t-il de la période d'Édouard Balladur ? Rien. Alors que son successeur, Alain Juppé, est resté dans les mémoires, comme celui qui a tenté de réformer la Sécurité sociale. Quant à Jacques Chirac, il aurait sans doute été plus cohérent en nommant Philippe Séguin en mai 1995 et Nicolas Sakorzy en mai 2002 à Matignon. Mais il a laissé des discours mémorables, et historiquement essentiels, celui de la reconnaissance de la France dans la rafle du Vel' d'hiv' (en juillet 1995), de la mort de François Mitterrand (en janvier 1996) et aussi de son départ où il avouait, malgré sa pudeur, l'amour qu'il vouait aux Français et à la France (en mars 2007). D'autres ont retenu sa position contre l'intervention américaine en Irak, mais cette position n'était pas évidente et pas nécessairement sa première position spontanée.
Et Édouard Balladur dans l'affaire ? Il a continué comme un "vulgaire" homme politique, ordinaire, cherchant en vain à conquérir un petit Graal, comme la présidence du conseil régional d'Île-de-France en mars 1998, puis la mairie de Paris en mars 2001, cette dernière bataille après une rivalité primaire contre Philippe Séguin. Député de Paris de mars 1986 à juin 2007, dans une circonscription imprenable à partir de 1988, et conseiller de Paris de 1989 à 2008, il n'a pas eu à batailler ferme pour maintenir ses propres mandats parisiens.
Bien qu'à l'origine, il était spécialisé dans l'économie et le social (il a présidé des groupes industriels dans les années 1970), ce qui l'a bombardé Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, souvent appelé Vice-Premier Ministre, Édouard Balladur, comme tous les hommes d'État en retrait, s'est préoccupé surtout des institutions et des affaires étrangères. Ainsi, il a présidé la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale du 27 juin 2002 au 19 juin 2007 lors de son dernier mandat parlementaire (faute d'être élu Président de l'Assemblée Nationale le 25 juin 2002, recueillant seulement 163 voix sur 541, battu par Jean-Louis Debré avec 217 voix, puis unique candidat de droite au second tour), et il a présidé deux Comités Balladur, le Comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (nommé du 18 juillet 2007 au 29 octobre 2007), et le Comité pour la réforme des collectivités locales (nommé du 22 octobre 2008 au 25 février 2009), tous les deux issus de la volonté de Nicolas Sarkozy élu Président de la République et, en quelque sorte, faisant gagner Édouard Balladur à l'Élysée par procuration.
Malgré la proposition de Nicolas Sarkozy de le nommer en février 2010 au Conseil Constitutionnel, le conseiller honoraire du Conseil d'État (diplômé de l'IEP Paris et de l'ENA) a décliné l'offre pour se consacrer à sa retraite. Au sein de l'UMP puis de LR, Édouard Balladur a soutenu François Fillon en novembre 2012, Nicolas Sarkozy en novembre 2016, François Fillon en avril 2017, Laurent Wauquiez en décembre 2017 et Valérie Pécresse en avril 2022. Il n'a jamais apporté son soutien à Emmanuel Macron et a même émis une appréciation très sévère contre ce dernier sur sa politique européenne.
Auteur d'une note politique pour la fondation Fondapol publiée le 27 juin 2023, l'ancien Premier Ministre affirmait un certain euroscepticisme, assez étonnant de sa part : « Depuis trente ans, le monde a changé au détriment de l’Europe. La France a changé davantage encore et paraît atteinte dans ses forces vitales. L’Europe peut-elle contribuer à son redressement ? Rien n’est moins sûr. Des progrès ont été recherchés, mais dans un désordre qui a permis à la technostructure européenne d’accroître encore son pouvoir. (…) Il faut sortir de l’ambiguïté, la France doit demeurer souveraine dans certains domaines essentiels. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir. ». À croire que toutes ses belles paroles européennes des années 1990 étaient de l'hypocrisie électorale...
Par cette analyse très décevante et sans innovation, il est revenu à son dada des cercles concentriques : « Avant tout élargissement, définir clairement la construction de l’Europe en cercles à compétences et à compositions variables, en faire un principe de base. ». Mais il n'a porté aucune proposition concrète sinon les yaka fonkon habituels, très stériles et très communs : « La France doit sortir du déclin qui la menace. La lutte contre les déficits, l’endettement, l’insécurité, et pour l’amélioration de la compétitivité, du système éducatif, hospitalier, pour la régulation effective de l’immigration, demeurent des compétences nationales. (…) Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin. ». On ne peut pas demander à une personne qui a eu 15 ans en 1944 d'imaginer le monde de 2030, encore moins de 2050. Ni être le vieux sage de la politique des années 2020 comme l'a si élégamment été Antoine Pinay entre 1974 et 1994.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01er mai 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Édouard Balladur.
Le théoricien de la cohabitation.
Le Comité Balladur de 2007.
La cohabitation de 1986.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240502-balladur.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-vision-europeenne-decevante-d-254304
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240502-balladur.html
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Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon
« Moi, je pense que la politique et que ma responsabilité en tout cas, ce n'est pas seulement de faire des grands récits, c'est aussi de répondre à des petits problèmes et de faire des progrès dans la vie quotidienne des Français. » (Gabriel Attal, le 18 avril 2024 sur BFMTV).
Journée importante pour le Premier Ministre Gabriel Attal que ce jeudi 18 avril 2024 censé "fêter" (façon de parler) ses 100 jours à Matignon. Et pas n'importe comment : le matin, un discours important à Viry-Châtillon sur le retour à l'autorité chez les enfants et adolescents, et le soir, une émission politique importante sur BFMTV.
Comme pour tous les Premiers Ministres, le job est un contrat à durée déterminée indéterminée. Le Premier Ministre peut être remplacé du jour au lendemain. Ce qui fait que chaque journée, chaque minute compte, bien évidemment. Pas étonnant qu'au bout de six mois, ils sont d'office décoré de l'ordre national du Mérite. C'est sans doute la fonction la plus épuisante de France, de toutes les fonctions, privées et publiques confondues.
Sur l'autorité à l'école, Gabriel Attal a tenté de répondre aux faits-divers qui ont endeuillé plusieurs famille pour avoir touché la vie de plusieurs collégiens, en particulier à Viry-Châtillon où un adolescent est mort après avoir été battu près de son collège. Pour le chef du gouvernement, la violence des mineurs provient d'un manque de respect à l'autorité. Gabriel Attal a énuméré un certain nombre de mesures comme l'inscription dans Parcoursup des protestations et des contestations de l'autorité de l'école, ce qui pourra handicaper des élèves violents dans la poursuite de leurs études supérieures, de la signature d'un contrat d'engagement à respecter l'autorité et les valeurs de la République chaque année entre les parents, les établissements et les élèves, la généralisation à l'école primaire des cours d'empathie, la possibilité d'une place en internat pour les jeunes violents pour les éloigner de leurs mauvaises fréquentations, le contrôle de l'âge réel des jeunes qui s'inscrivent dans les réseaux sociaux (il doit être supérieur à 15 ans), avec la possibilité d'une vérification entre l'opérateur et le fichier des inscriptions dans un établissement scolaire, une responsabilisation accrue des parents, en particulier la responsabilité solidaire des réparations financières des deux parents, même s'ils sont séparés, en cas de dégâts provoqués par leur enfant, etc. Pour Alain Duhamel, Gabriel Attal est très crédible dans ce domaine qui a été son leitmotiv quand il a été Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.
L'émission du jeudi soir sur BFMTV était un exercice beaucoup plus périlleux pour le Premier Ministre. Cinq journalistes l'ont interrogé selon des thèmes précis. Gabriel Attal s'est montré à la fois humble et modeste face à sa tâche, et aussi factuel, concret, précis sur les mesures qu'il a prises, souvent en corrigeant les fake-news ou les mauvaises interprétations. Un exemple parmi d'autres : la suppression d'une prime spéciale pour l'alternance. Depuis 2017, il y a eu une forte augmentation des formations en alternance, voulue par le Président de la République. Pendant la crise du covid-19, le gouvernement avait mis en place une prime spéciale pour soutenir l'alternance. La crise étant finie, le gouvernement vient de la supprimer. Ce n'était pas cette prime qui avait permis la progression de l'alternance en France et il faut savoir si on critique le déficit budgétaire (en s'aidant de la Cour des Comptes en passant) ou si on critique le fait de réduire les dépenses publiques (en particulier, la suppression de cette prime spéciale était une mesure préconisée par la Cour des Comptes).
Toutefois, on pourra regretter que les journalistes qui l'ont interrogé ne l'écoutaient pas et l'interrompaient sans cesse, histoire de montrer qu'ils ne seraient pas allégeants. Comme le veut leur profession, ils essayaient avant tout de faire sortir "la" petite phrase qui ferait le buzz dans les prochains jours, tout en faisant la promotion de leur employeur (en l'occurrence BFMTV). Déviation professionnelle particulièrement néfaste pour avoir une vue éclairée de la vie politique, puisque ce qui compte, à leurs yeux, n'est que de vaines polémiques anecdotiques. Évidemment, pour le professionnel de la communication qu'est Gabriel Attal, il y avait peu de chance qu'il tombât dans les nombreux pièges parfois subtils de ses interviewers, et même de ce côté : tout est de la com' ! En effet, Gabriel Attal a répondu en disant que si tout ce qu'il faisait était de la communication, on ne l'attaquerait pas sur des mesures concrètes, il n'y aurait pas de débat, sur l'assurance-chômage, sur le RSA, etc.
Parmi les pièges, Ulysse Gosset a beaucoup interrogé Gabriel Attal sur la situation en Ukraine et au Proche-Orient (on note au passage que le Premier Ministre était assez convaincant sur ces sujets qu'ils connaissaient pourtant assez mal par son expérience gouvernementale, même si le Premier Ministre est responsable de la défense nationale et qu'à ce titre, il est membre du conseil de défense).
Ulysse Gosset lui a demandé quelle serait la position de la France, qui soutiendrait-elle ?, en cas d'escalade et de guerre directe entre Israël et l'Iran. Malgré l'insistance du questionneur chevronné, Gabriel Attal s'est bien gardé de répondre à cette question qui se base sur une hypothèse dans laquelle il refuse de se placer puisque la France fait tout diplomatiquement pour éviter une telle escalade et une telle guerre. En se plaçant dans ces conditions de guerre, cela signifierait que la France les aurait déjà tenues pour acquises.
Mais la palme revient à Benjamin Duhamel pour les questions de politique politicienne particulièrement sans intérêt. Gabriel Attal a sans doute peu convaincu lorsqu'il a dit qu'il ne songeait pas à l'élection présidentielle de 2027 (contrairement à certains rivaux dans la majorité comme Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin), mais finalement, on peut imaginer sa sincérité. Il est Premier Ministre, donc, comme le disait Georges Pompidou, dès qu'il a posé le pied à Matignon, l'hypothèse de l'Élysée se diffuse, mais d'un autre côté, cette fonction étant terriblement à court terme, où il doit éteindre des incendies, répondre à des urgences, qu'il n'a même pas le temps de voir un horizon à trois mois, alors, à trois ans, c'est très loin et personne ne pourra dire où il sera à cette date. En revanche, lui se voit mal encore dans la vie politique dans vingt ou trente ans.
La question de Benjamin Duhamel sur le vote d'une éventuelle motion de censure cet automne contre le projet de loi de finance, comme le menace le groupe LR, paraît aussi fantaisiste qu'une guerre réelle entre Israël et l'Iran : pourquoi dire ce que ferait le gouvernement dans un tel cas alors qu'il pourrait ne jamais survenir ? Il faut noter qu'en cas de vote d'une motion de censure, Gabriel Attal le considérerait comme un événement politique majeur (il n'a pas tort). Et la réaction à un tel événement n'est d'ailleurs pas du ressort du Premier Ministre mais du Président de la République (changement de Premier Ministre, dissolution, référendum...).
Pas de réponse satisfaisante pour les porteurs d'audience non plus à propos de la petite phrase de Laurent Fabius évoquée de manière très imprécise par Benjamin Duhamel. À l'époque, c'était son oncle Alain Duhamel qui avait posé la question le 5 septembre 1984 dans "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 au tout jeune Premier Ministre Laurent Fabius : « Vous avez tout appris de la politique auprès de François Mitterrand. Peut-on être un chef de gouvernement autonome lorsque l’on devient le premier collaborateur de celui dont on a toujours été le collaborateur ? ». Et Laurent Fabius de répondre : « Je vais vous faire une révélation, lui, c’est lui, moi c’est moi ! ». Benjamin Duhamel aurait rêvé d'une telle nouvelle petite phrase qui resterait dans les annales de l'histoire audiovisuelle. Mais il faut pour cela être un peu plus malin ! Démentant les éventuels désaccords entre Emmanuel Macron et lui-même, Gabriel Attal a insisté pour dire que ces rumeurs existent depuis qu'existe le couple Président/Premier Ministre et que, de toute façon, ils sont deux personnes différentes, donc forcément il y a des nuances.
Gabriel Attal a voulu montrer d'abord l'image d'un Premier Ministre qui allait au charbon, qui travaillait, qui s'occupait des gens, qui ne pensait pas en se rasant ce qu'il deviendrait plus tard mais qui se demandait ce qu'il pourrait faire tout de suite pour servir le pays et les Français. S'il a été très pugnace dans ses critiques contre le RN (en particulier, leur vulgarité de langage qui n'est pas sans faire penser aussi aux comportements violents à l'école), il n'a pas montré beaucoup d'arrogance et a même laissé entendre qu'il restait impressionné par ses fonctions. Il a refusé de parler d'enfer de Matignon alors que c'est une mission exaltante et qu'on peut toujours quitter si c'est trop difficile. À la question sur : à qui demandez-vous conseil pour certaines questions difficiles ?, le Premier Ministre a été étonnamment sincère : il en parle avec ses conseillers (qui en douterait ?), ses ministres concernés ...et sa famille. Mais il ne consulte pas des personnalités comme François Bayrou ou Édouard Philippe, par exemple. Sa réponse franche montre surtout à quel point, au sommet de l'État, le pouvoir est excessivement solitaire.
Quant à la campagne des élections européennes, Gabriel Attal a estimé qu'elle n'avait pas encore vraiment commencé et que la question sur l'avenir de l'Europe n'intéressait pas les journalistes ni l'opposition qui ne pensent qu'à en faire une étape nationale sur le chemin de la prochaine présidentielle. Seule la liste menée par Valérie Hayer pense réellement à l'Europe, avec des projets concrets. En somme, Gabriel Attal devrait tout être : chef du gouvernement, ministre de tout... et tête de liste aux européennes. En tout cas, il a expliqué que son adversaire n'était pas Jordan Bardella, député européen, mais Marine Le Pen puisqu'en tant que Premier Ministre, il est avant tout responsable devant le Parlement et que Marine Le Pen est la présidente du plus grand groupe d'opposition. C'est donc un débat avec Marine Le Pen, qu'elle refuse, qu'il a proposé à nouveau pour faire comprendre aux Français les différences (majeures) de l'offre politique.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon.
Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
Les souris du gouvernement de Gabriel Attal.
Liste complète de tous membres du premier gouvernement de Gabriel Attal au 8 février 2024.
Mais quelle mouche a donc piqué François Bayrou ?!
Le capitaine Gabriel Attal fixe le cap du réarmement de la France.
Discours de politique générale du Premier Ministre Gabriel Attal le 30 janvier 2024 à l'Assemblée Nationale (texte intégral et vidéo).
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Gabriel Attal répond à Patrick Kanner sur les crédits pour l'hôpital.
Pour que la France reste la France !
Conférence de presse du Président Emmanuel Macron le 16 janvier 2024 à 20 heures 15 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
Gabriel Macron.
Tribune du Président Emmanuel Macron dans "Le Monde" du 29 décembre 2023.
Le gouvernement de Gabriel Attal sarkozysé.
Liste complète des membres du premier gouvernement de Gabriel Attal.
Cérémonie de passation des pouvoirs à Matignon le 9 janvier 2024 (texte intégral et vidéo).
Gabriel Attal plongé dans l'enfer de Matignon.
Élisabeth Borne remerciée !
Macron 2024 : bientôt le grand remplacement ...à Matignon ?
Vœux 2024 d'Emmanuel Macron : mes chers compatriotes, l’action n’est pas une option !
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240418-gabriel-attal.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-cent-jours-de-gabriel-attal-a-254233
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240418-gabriel-attal.html
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Mon Raymond Barre à moi !
« Les porteurs de pancartes, ceux qui scribouillent, jacassent et babillent, le chœur des pleureuses et le cortège des beaux esprits, des milieux qui ne vivent que de manœuvres, d’intrigues et de ragots. » (Raymond Barre, le 26 septembre 1978).
Pourquoi ne suis-je pas étonné que le centenaire de Raymond Barre semble laisser complètement indifférente la classe médiatico-politique actuelle ? En effet, l'ancien Premier Ministre est né il y a 100 ans, le 12 avril 1924, à Saint-Denis, à La Réunion. Très malade et hospitalisé depuis plusieurs mois, il est mort d'une crise cardiaque à 83 ans le 25 août 2007 au Val-de-Grâce, l'hôpital parisien des grands politiques (aujourd'hui fermé). Ève Hegedüs, d'origine hongroise, qu'il a épousée en novembre 1954, est morte à 97 ans au début du mois de novembre 2017 à Genève. Je ne suis pas étonné de cet oubli généralisé parce que Raymond Barre était un homme d'État qui, aujourd'hui, fait figure de passé révolu (on n'en fait plus comme ça !). Et probablement aussi parce qu'il y a eu quelques révélations posthumes qui n'étaient pas du meilleur effet pour sa postérité (lire plus loin).
J'ai toujours claironné mon barrisme et je le claironne encore aujourd'hui ("quoi qu'il en coûte" !), même si c'est un peu vain et même s'il devient très difficile d'expliquer ce qu'est le barrisme en 2024. Comme avec De Gaulle, il n'est pas question d'imaginer ce qu'aurait pu penser, dire, faire une personnalité qui, aujourd'hui, a disparu, mais ses leçons de vie ont toujours été très instructives.
Si je me suis engagé en politique, c'était pour le soutenir, lui, Raymond Barre, candidat à l'élection présidentielle de 1988. Je notais d'ailleurs frénétiquement les noms de ceux qui le soutenaient aussi, en puisant dans les nombreuses notes confidentielles des journaux, des soutiens clairs et publics et des soutiens plus flous, qui n'osaient pas trop de le dire en raison de leurs attaches partisanes à droite mais aussi à gauche. D'ailleurs, certains de ces soutiens ont pu décevoir par la suite (c'était le cas de Philippe de Villiers, Christine Boutin, Charles Millon, etc.). J'étais même content d'avoir pu convaincre quelques électeurs socialistes modérés déçus par le cynisme de François Mitterrand.
Ce qui est terrible lorsqu'on s'engage pour une personne, c'est qu'on risque de penser que seule sa pensée est la bonne. Le problème, c'est qu'elle n'est pas immortelle, au-delà de ne pas être infaillible, et que la pensée politique ne peut pas se référer qu'à une seule personne pour l'incarner. C'était longtemps le problème du gaullisme, mais De Gaulle avait pour lui non seulement son mythe de l'homme du 18 juin, mais aussi celui du fondateur de la Cinquième République. C'est aussi le problème de l'actuel Président Emmanuel Macron que je soutiens : sur quels fondements de philosophie politique agissent les responsables politiques ?
C'est donc mon engagement auprès de Raymond Barre qui m'a permis d'affiner mes convictions politiques et philosophiques et pas l'inverse. Très globalement, la philosophie générale du centre droit, on pourrait parler du parti bourgeois ou orléaniste, c'est le pragmatisme économique, à savoir la paix par la prospérité. Avec un zeste de social et d'humanisme. Mais dans notre monde complexe, c'est très réducteur et surtout, très incomplet.
Pour autant, Raymond Barre n'était pas mon gourou et, heureusement, contrairement à d'autres leaders politiques (comme chez les insoumis par exemple), il n'a créé aucune secte ! Raymond Barre était un humain avec ses failles. Il en avait beaucoup : il n'a pas participé à la Résistance alors que des plus jeunes que lui l'ont fait (il avait 20 ans en avril 1944 ; il a fait son service militaire en 1945 à Madagascar), il a été parfois maladroit (avec des phrases franchement limite comme celle-ci, lors de l'attentat de la rue Copernic le 3 octobre 1980 : « Je rentre de Lyon plein d'indignation à l'égard de cet attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. C'est un acte qui mérite d'être sévèrement sanctionné. », laissant croire, sémantiquement, que les Juifs n'auraient pas été innocents), et à la fin de la vie, plus par entêtement narcissique qu'autre chose, il a tenu des propos proches de l'antisémitisme qui pourraient illustrer le naufrage de la vieillesse. Enfin, après sa mort, le 3 juillet 2019, une enquête journalistique a dévoilé qu'il avait gardé en Suisse quelques millions cachés au fisc, j'avais l'intention d'écrire sur ce sujet mais je ne l'ai pas encore fait (à l'époque, tous les grands candidats avaient des relations troubles avec l'argent, car une campagne présidentielle coûte cher et il n'y avait pas encore de financement public de la vie politique).
Si j'appréciais Raymond Barre, c'était parce qu'il synthétisait à lui seul deux amours, l'amour de la France et l'amour de l'Europe. Il synthétisait aussi deux courants politiques qui, souvent, se sont combattus : le gaullisme, et la démocratie chrétienne. J'utilise l'expression "démocratie chrétienne" à défaut d'une meilleure expression, qui pourrait être aussi "catholicisme social" mais ce serait encore plus réducteur, car la France est un pays laïque, et c'est très bien, mais ce courant se retrouve dans le reste de l'Europe et aussi en Amérique latine. On pourrait l'appeler le courant démocrate social à condition de ne pas le confondre avec le courant social-démocrate. Aujourd'hui, il pourrait être appelé le courant démocrate européen.
Le gaullisme comme un serviteur de l'État. Lors du conseil des ministres du 21 juin 1967, Georges Pompidou, alors Premier Ministre, a proposé le nom de Raymond Barre pour la prochaine Commission Européenne. Il était déjà très réputé en économie, auteur à 35 ans des deux tomes "Économie politique" de la collection Thémis des PUF (Presses Universitaires de France) que des générations d'étudiants ont potassés (sortis en 1959 et réédités plus d'une quinzaine de fois, traduit en anglais, allemand, espagnol, russe, arabe, etc.), « le premier manuel moderne d'économie des facultés de droit » selon Jean-Claude Casanova, ancien élève et futur collaborateur. De Gaulle n'y a vu aucune objection, et son Ministre des Affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney a approuvé dans la même instance, selon les notes d'Alain Peyrefitte : « Je me félicite du choix de Raymond Barre. C'est un gaulliste sûr et un économiste de premier ordre. Je suis convaincu qu'il aura dans la Commission autant d'autorité morale que Marjolin [auquel il allait succéder]. ». Jean-Marcel Jeanneney le connaissait bien car Raymond Barre avait travaillé dans son cabinet lorsqu'il était Ministre de l'Industrie entre 1959 et 1962, en tant que son chef de cabinet et ils ont été amené à mettre en application le Traité de Rome dans les secteurs industriels.
Raymond Barre, lui, aurait voulu être nommé en 1967 Commissaire général au Plan, mais De Gaulle préférait bénéficier de son expertise à Bruxelles, ce qui montrait que De Gaulle ne négligeait pas du tout les instances européennes. Raymond Barre avait démarré sa carrière d'universitaire à Tunis (en tant que professeur agrégé de droit et de sciences économiques), où il a rencontré sa future épouse, et aussi un de ses étudiants, Jean-Claude Paye qui a dit plus tard : « Ce qui nous frappait le plus : son aptitude à établir des liens entre l'économie, la politique et l'histoire. ». Observateur et transmetteur, il est devenu rapidement acteur comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances du 7 juillet 1967 au 5 janvier 1973. Il a en particulier conçu la future Union économique et monétaire qui allait conduire au Serpent monétaire européen (SME), lui-même débouchant sur la future monnaie unique de l'Europe, l'euro (le SME consistait à encadrer le cours des monnaies européennes entre une cote maximale et une cote minimale, si bien que cela stabilisait les monnaies européennes et réduisait les risques de spéculations).
Plus gaulliste que son prédécesseur Roberd Marjolin (porté par un certain supranationalisme) à la Commission, Raymond Barre a tout de suite suscité, malgré la méfiance initiale, la sympathie de ses partenaires européens pour son réalisme, son pragmatisme, son professionnalisme et sa convivialité (il était un bon vivant, comme sa silhouette pouvait en témoigner), ce qui a agrandi sa crédibilité internationale. Et aussi sa crédibilité auprès de De Gaulle qu'il a convaincu de ne pas dévaluer le franc en décembre 1968 malgré des spéculations consécutives à mai 68. Pour autant, le franc a été de nouveau attaqué en raison de l'incertitude créée par le référendum d'avril 1969 dont l'échec était prévisible, si bien qu'arrivé à l'Élysée, Georges Pompidou a pris la décision finalement de dévaluer le franc en août 1969. Pour Raymond Barre, c'était le point de départ d'une longue période d'inflation (toutes les années 1970 et première moitié des années 1980).
Valéry Giscard d'Estaing l'a bien compris et l'a choisi pour diriger ensuite la France : Président, il l'a nommé Ministre du Commerce extérieur du gouvernement de Jacques Chirac le 12 janvier 1976, puis, alors qu'il était encore inconnu du grand public, Premier Ministre le 25 août 1976 (cumulant le Ministère de l'Économie et des Finances jusqu'au 31 mars 1978), et il est resté à Matignon jusqu'au 21 mai 1981, à la fin du septennat, malgré des périodes de surmenage (comme en octobre 1979). L'économiste s'est plu à faire de la politique (et c'était difficile avec, dans sa majorité, les empêcheurs de gouverner en rond qu'étaient les députés RPR),
C'est la raison pour laquelle j'ai évoqué la synthèse Europe et France. Europe, car l'Européen convaincu a construit l'union économique et monétaire, seule la puissance européenne pourrait rivaliser économiquement avec les autres grands ensembles régionaux, mais aussi France, car il était un gardien pointilleux des institutions de la Cinquième République, et c'est d'ailleurs étonnant qu'il le fût plus que des gaullistes qui s'autoproclamaient du Général De Gaulle. Ainsi, il a soutenu le septennat et a toujours rejeté le quinquennat, il a aussi rejeté le principe de la cohabitation, considérant qu'un Président de la République qui n'avait plus de majorité à l'Assemblée Nationale, avait perdu la confiance du peuple et qu'il fallait relégitimer cette confiance d'une manière ou d'une autre. Le 7 octobre 1984, il affirmait : « Il y a là [avec l'idée de cohabitation] une trahison du principe fondamental de la Cinquième République et derrière cela, se profile le retour à un Président qui inaugure les chrysanthèmes avec un Premier Ministre et un gouvernement entre les mains des rivalités des partis. ».
Raymond Barre était contre le régime des partis, et d'ailleurs, il était contre le principe des partis, refusant de se faire enrégimenter par un appareil de parti, beaucoup trop électron libre pour suivre des consignes partisanes (ou en donner, d'ailleurs). Mais cet état d'esprit fut aussi sa perte car au moment de se présenter à l'élection présidentielle, il lui manquait une machine de guerre électorale efficace face au RPR (Jacques Chirac) et au PS (François Mitterrand). Lui ne pouvait se reposer que sur ses propres réseaux politiques (REEL, dirigés par Charles Millon) et sur l'UDF, une confédération de partis d'élus et pas de militants, eux-mêmes composés de nombreux électrons libres, souvent jaloux de leur indépendance politique et qui, souvent, monnayaient leur soutien au candidat le plus offrant.
J'appréciais en effet beaucoup son indépendance d'esprit, sa capacité de réfléchir par lui-même, indépendamment des modes et des sondages, quitte à soutenir des dispositions impopulaires le cas échéant (il proclamait à Matignon : « Je préfère être impopulaire qu'irresponsable ! »). J'appréciais également son ton professoral (très peu électoraliste !), qui lui donnait une réelle autorité. J'étais d'ailleurs très étonné par sa grande popularité après 1981, qu'on pouvait sans doute expliquer par le besoin d'avoir un peu de sérieux dans l'économie alors que le gouvernement socialo-communiste faisait dans la surenchère des dépenses publiques (qu'on paie encore aujourd'hui, quarante-trois ans plus tard). Cela n'a pas suffi à le faire élire à l'Élysée en 1988 parce qu'il avait été un candidat assez médiocre, incapable de faire rêver, une campagne très peu dynamique (mal-menée d'abord par Philippe Mestre), il aurait dû être présent partout, réagir à tout, initier trente-six mille débats sur des sujets importants ou anecdotiques. Bref, dans la compétence de candidat, Jacques Chirac et François Mitterrand était nettement meilleurs que lui.
Au lieu de se retirer de la vie politique après son échec de 1988, Raymond Barre s'est finalement prêté au jeu politique classique. Député de Lyon depuis 1978 (André Santini, député UDF, s'amusait à témoigner : « Barre, c'est mon compagnon de chambre : il dort à côté de moi à l'Assemblée ! »), il a été élu maire de Lyon de juin 1995 à mars 2001, et à ce jour, les Lyonnais le considèrent comme le meilleur maire qu'ils ont eu. Il faut dire qu'il a poursuivi avec succès le projet de Michel Noir d'ouvrir la ville traditionnellement très repliée sur elle-même pour la faire rayonner internationalement, ce que savait faire Raymond Barre par sa grande expérience du pouvoir. Une ville lumière !
Parmi les défauts de Raymond Barre, on pourrait bien sûr affirmer qu'il manquait un peu d'anticipation sur la réalité des dangers politiques de l'avenir. Il restait très anticommuniste, et il était très prudent sur la politique d'ouverture de l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev, ne tombant pas dans la gorbamania comme la plupart des dirigeants ouest-européens. En revanche, il n'avait pas vu venir, malgré le développement de l'audience électorale de Jean-Marie Le Pen, la menace durable et inquiétante d'une extrême droite populiste non seulement en France, mais aussi en Europe voire dans le monde entier (en particulier sur le continent américain). Sans doute était-ce sa génération qui voulait cela, puisqu'il est né quand l'Union Soviétique avait un an. Toutefois, son humanisme l'encourageait à prôner des idées que rejette l'extrême droite, en particulier sur le respect des immigrés. En 1988, Raymond Barre disait ainsi : « La France a été dans le passé et sera dans l'avenir une société composée de communautés de provenances diverses et de cultures variées. La France, comme les États-Unis, est un creuset. Aucun autre pays, à l'exception de la Yougoslavie, n'a une composition ethnique si hétérogène. (…) L'unité française s'est construite sur, et contre, une extraordinaire diversité ethnique et culturelle. ».
J'expliquais que l'UDF l'avait soutenu à l'élection présidentielle de 1988 et pas le RPR. Il était gaulliste et démocrate chrétien, un courant qui a existé avec le MRP, des résistants gaullistes et centristes (comme Edmond Michelet, Maurice Schumann), mais Raymond Barre n'était pas un ancien résistant. Les gaullistes étaient totalement polarisés par Jacques Chirac et le RPR, et seul le courant centriste a soutenu Raymond Barre, le CDS (Centre des démocrates sociaux) d'ailleurs nettement plus sincèrement que le Parti républicain (ex-RI, parti de VGE), ce qui a justifié mon engagement au CDS à l'époque.
Malheureusement, il n'existe plus de Raymond Barre dans la classe politique d'aujourd'hui. Les centristes, dont le courant est aujourd'hui représenté par Emmanuel Macron, même si c'est très différent historiquement, car les centristes, c'est l'Europe et la décentralisation (la subsidiarité), or, le macronisme est certes européen mais plutôt jacobin, les centristes restent avec ce péché originel de vouloir revenir à la Quatrième République (avec le MoDem, le Parti radical, l'UDI, etc.). Ce n'est pas exactement cela, mais leur propension à soutenir par exemple le scrutin proportionnel en est un symptôme. Au contraire, Raymond Barre défendait les institutions gaulliennes avec le scrutin majoritaire qui permettent d'avoir un gouvernement fort, efficace et démocratique, avec une majorité solide (pas toujours !), alors que les centristes aiment rarement la figure de l'homme providentiel (ou de la femme providentielle).
À ma connaissance, seulement quatre grandes biographies ont été publiées sur Raymond Barre : "Un certain Raymond Barre" de Pierre Pélissier (éd. Hachette, 1977), "Monsieur Barre" d'Henri Amouroux (éd. Robert Laffont, 1986), "Raymond Barre" de Christiane Rimbaud (éd. Perrin, 2015) et "Raymond Barre aujourd'hui" de Jacques Bille (éd. Temporis, 2020). Nul doute qu'on le découvrira plus tard, après une traversée du désert...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Mon Raymond Barre à moi !
Un véritable homme d’État (25 août 2017).
Disparition de Raymond Barre (25 août 2007).
Raymond Barre absent de l’élection présidentielle (12 avril 2007).
La dernière interview de Raymond Barre le 1er mars 2007 sur France Culture (texte intégral).
Triste vieillesse (8 mars 2007).
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240412-raymond-barre.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mon-raymond-barre-a-moi-253864
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240412-raymond-barre.html