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François Bayrou, le début du commencement

« Le budget que nous allons adopter aujourd'hui, je le crois, est une étape, c'est même le début du début du commencement du travail que nous allons faire. (…) Le gouvernement n'a qu'une ligne, restaurer une puissance publique digne de ce nom au service d'une nation qui doit retrouver sa solidité, sa solidarité et sa fierté. » (François Bayrou, le 5 février 2025 dans l'hémicycle).




 

 
 


Les deux motions de censure déposées par le groupe insoumis le 3 février 2025 ont été examinées ce mercredi 5 février 2025 après-midi au cours de deux débats indépendants. Elles étaient la réaction au double engagement de responsabilité du gouvernement de François Bayrou pour l'adoption du projet de loi de finances pour 2025 (PLF) et pour la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (PLFSS), autrement dit, à l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Au moment du débat parlementaire, il n'y avait plus de suspense. Dès le lundi 3 février 2025, le parti socialiste a fait savoir qu'il ne voterait pas la censure en raison de son esprit de responsabilité et de stabilité : la France a besoin d'un budget pour 2025 et ne peut pas se permettre une seconde censure sur le budget. Quant au groupe RN, après l'avoir implicitement annoncé le 4 février 2025, c'est quelques heures avant le vote qu'il a formellement confirmé qu'il ne voterait pas non plus la censure.


C'est donc un succès pour François Bayrou mais il a voulu avoir le triomphe très modeste. Il n'était pas question de fanfaronner ni de parader avec sa non-censure. Certes, il a réussi la première mission de son gouvernement, à savoir doter le pays d'un budget pour cette année en cours, et le plus tôt possible, ce qui, entre autres, permettra aux collectivités locales (communes, départements, régions) de construire leur propre budget.

En effet, comme le signalent la plupart des éditorialistes, cette non-censure est un sursis, un répit, pour le gouvernement Bayrou. Rien ne l'empêchera de tomber sur un autre sujet, par exemple, celui des retraites (Boris Vallaud a prévenu que les socialistes voteraient la censure si le retour à l'âge légal de 62 ans n'était pas proposé à l'issue de la grande conférence sociale).

 

 
 


Avant le vote de la motion de censure contre le PLF, François Bayrou a pris la parole : « Nous avons un budget imparfait. Et je voudrais dire à ceux qui l'ont remarqué que notre but, notre intention, est que ce budget, l'année prochaine, si nous arrivons à remplir les objectifs que nous nous sommes fixés, ce budget ne soit pas le même. Et donc, ce budget est une étape d'urgence. Et pourquoi est-il une étape d'urgence ? Parce que notre pays ne peut pas vivre sans budget. (…) Nous ne pouvions pas, en aucune manière, faire autrement. C'est pourquoi nous avons fait un choix. Nous avons fait un choix d'agenda en choisissant de repartir du texte qui avait été présenté par le gouvernement de Michel Barnier et examiné par le Sénat. C'était plus difficile, naturellement, mais ça répondait à une exigence, c'est que nous ayons un budget au début du mois de février, alors qu'autrement, il aurait fallu attendre avril. Et qui peut soutenir l'idée que les investisseurs qui ont besoin de lisibilité, que les entreprises qui ont besoin de stabilité, et que les foyers qui ont besoin de retrouver un minimum de cohérence dans l'action publique, qui peut soutenir l'idée que ça aurait été mieux d'attendre quatre mois pour avoir à peu près les mêmes discussions, à peu près les mêmes condamnations, à peu près les mêmes invectives. ».

 

 
 


Et le chef du gouvernement a terminé son intervention en prenant de la hauteur internationale : « Mais je voudrais dire un dernier mot. À l'heure même où nous avons ce débat, un peu, par moments, surréaliste, parfois décalé, l'Ukraine, avec plus de 100 000 morts, s'arc-boute sous les coups de l'armée russe sous les ordres de Poutine, qui, elle, a eu 200 000 morts. Le quarante-septième Président des États-Unis annonce qu'il va annexer le canal de Panama, l'immense Groenland, je rappelle que le Danemark est un État de l'Union Européenne et que la question, si cette menace se réalisait, se poserait à tous les États de l'Union Européenne la question de la réaction qui pourrait être la leur face à cette tentative de prise de contrôle. La Chine a passé le cap des 1 000 milliards d'excédent commercial. Et tout cela, ce sont des tsunamis qui s'avancent, irrésistibles, en tout cas, en face desquels nous demeurons paralysés. Et nous nous évertuons, nous nous ingénions, nous nous obsédons à rester, à nous enfoncer et à aggraver nos faiblesses et nos divisions. Le gouvernement n'a qu'une ligne, restaurer une puissance publique digne de ce nom au service d'une nation qui doit retrouver sa solidité, sa solidarité et sa fierté. ».

 

 
 


Ce qui est notable, c'est qu'il y a eu moins de députés qui ont voté pour ces deux motions de censure que pour la première motion de censure du 16 janvier 2025. L'hémicycle était d'ailleurs clairsemé, ce qui était normal puisque seuls sont comptés les votes des députés voulant la censure. Les autres pouvaient vaquer à d'autres occupations.

Pour qu'une motion de censure soit adoptée, il faut une majorité d'au moins 289 députés (sur le 576 actuellement en exercice, il manque le député de Boulogne-Billancourt qui est en train d'être élu les 2 et 9 février 2025).


Les résultats de la première motion de censure (celle contre le PLF2025) ont été annoncés par la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet à 18 heures 09 : seulement 128 députés ont voté pour cette motion de censure, elle a donc été rejetée et le projet de loi de finances pour 2025 est donc réputé comme définitivement adopté.

 

 
 


L'analyse de ce scrutin (n°693) a montré que les 128 censeurs étaient composés de 70 députés FI (sur 71), 37 députés EELV (sur 38), 15 députés PCF (sur 17)... et 6 députés socialistes (sur 66). Cela signifie que 10% des députés socialistes ont refusé de suivre la consigne de ne pas voter la censure, c'est moins que le 16 janvier 2025 (ils étaient 8 au scrutin n°526), mais parmi ces 6, 2 n'avaient pas voté la censure le 16 janvier 2025, cela veut dire qu'au moins 10 députés socialistes sont susceptibles de voter la censure malgré une consigne de non-censure.

À cette annonce, si son voisin, le Ministre chargé des Relations avec le Parlement Patrick Mignola esquissait un franc sourire, François Bayrou lui-même restait impassible. Pas question d'être arrogant. Il a surtout encaissé cette nouvelle avec un peu d'émotion, comme le résultat de ses deux mois d'efforts et de concertations pour permettre l'adoption d'un budget (qui n'est parfait pour aucun groupe de l'Assemblée en raison des concessions). Il s'est juste dit qu'il avait trouvé un chemin.

L'exercice s'est poursuivi avec un nouveau débat pour la motion de censure contre le PLFSS2025. C'était l'occasion pour François Bayrou, en concluant ce débat, de rappeler une nécessité : « Tout le monde voit bien, a souligné, à plusieurs reprises, majorité comme opposition, la certitude que nous ne pouvons plus nous contenter d'un examen annuel de notre budget [de la sécurité sociale] et qu'une pluriannualité, avec des orientations et avec des tendances dégagées qui seront autant d'engagements, que cette méthode pluriannuelle sera plus riche que la méthode habituelle dans laquelle nous sommes, d'une certaine manière, quelque peu enfermés. (…) C'est aussi un travail de refondation qui est nécessaire devant le projet de loi de financement de la sécurité sociale. ».
 

 
 


Et de remercier les députés pour le travail accompli pour ce PLFSS : « Le choix de responsabilité est aussi un choix de solidarité à l'égard des plus fragiles de nos concitoyens car c'est eux qui auraient été évidemment victimes si nous n'avions pas eu d'adoption de ce budget. C'est pour le gouvernement une manière de remercier l'Assemblée Nationale de son engagement et de son travail. ».

Là encore, les résultats, annoncés ce mercredi 5 février 2025 à 20 heures 16, ont abouti au rejet de cette motion de censure, car seulement 122 députés l'ont votée, soit encore moins que la censure contre le PLF2025.
 

 
 


L'analyse du scrutin (n°694) a fait état du détail de ces 122 votes : 71 députés FI (sur 71), 36 députés EELV (sur 38) et 15 députes PCF (sur 17). Cette fois-ci, aucun député socialiste n'a voté la censure, la consigne du bureau national du PS a donc été respectée à 100% !

Pour François Bayrou, c'est bien sûr un double succès (le PLFSS n'est pas encore terminé et il y aura encore des motions de censure dans les jours prochains), car sa méthode a fonctionné, celle de tenter un pont entre le gouvernement et le PS. Le plus gros succès politique, c'est d'avoir réussi à détacher le PS de la tyrannie parlementaire de Jean-Luc Mélenchon, gourou du chaos.

Pour le parti socialiste aussi, c'est un succès. En effet, la décision douloureuse de ne pas censurer le gouvernement, pour être utile et efficace, devait être respectée par chaque député individuellement (je rappelle que le mandat d'un député n'est heureusement pas impératif, c'est la base même de la démocratie française, et donc, qu'il vote toujours en son âme et conscience quelles que soient les consignes éventuelles de son parti). À 10% près, la consigne a été respectée.

 

 
 


François Bayrou paraissait assez sûr de lui sur cette non-censure, en ce sens que la démarche initiée dès décembre par le PS, c'est-à-dire de devenir responsable et de chercher à obtenir quelques avancées (selon le PS) tout en restant dans l'opposition, s'apparente à faire du saut en parachute (cette analogie vient de la journaliste Sylvie Pierre-Brossolette le 3 février 2025 sur LCI) : une fois qu'on a sauté, on ne peut plus revenir en arrière dans l'avion ! Le PS non plus ne peut revenir en arrière pour se remettre dans la nasse des insoumis car il perdrait tout : il est déjà qualifié de traître par les insoumis (mais c'est ordinaire, depuis plus d'un siècle, qu'un socialiste se fasse traiter de traître par un gauchiste) et s'il retournait en arrière, il serait critiqué par ses électeurs qui demandent un minimum d'esprit de responsabilité.

Quant au RN, c'est aussi un semi-succès car sa consigne de non-censure a été suivie à 100%. Certes, le RN n'est plus au centre des enjeux dès lors que le PS l'a remplacé, mais en ne votant pas la censure, il s'est distingué des insoumis, d'autant plus qu'il ne pouvait pas reprocher à François Bayrou d'avoir franchi une ligne rouge budgétaire, et cela lui a permis de ne pas montrer l'inefficacité de son vote de censure. Il réserve cet acte grave à un autre moment dont il sera maître.

Le Premier Ministre a pris la parole à l'issue de ce second vote pour engager la responsabilité du gouvernement, sur le fondement de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, sur la deuxième partie du PLFSS, la partie des recettes. Une motion de censure sera certainement déposée par les insoumis pour un examen à la fin de la semaine ou au début de la semaine prochaine, sauf s'il commence à se lasser de déposer des motions de censures (le groupe insoumis en a déposé déjà cinq depuis les dernières élections !).
 

 
 


La suite, c'est donc le véritable début du travail gouvernemental. En gros, François Bayrou est arrivé en deux mois à atteindre là où s'était arrêté le gouvernement Barnier en trois mois (ce qui est logique puisqu'il a repris ses travaux budgétaires). Il aura donc réussi à rattraper le retard budgétaire en seulement deux mois, ce qui est remarquable.

Déjà la veille, 4 février 2025, François Bayrou avait répondu à l'ancien ministre Paul Christophe, président du groupe Horizons à l'Assemblée, à la séance des questions au gouvernement, en affirmant bien fort que l'achèvement des adoptions budgétaires ne constituait pas une fin mais un début ! Ainsi, il avait déclaré : « Vous avez raison de signaler que cette étape initiale qui s’achèvera, je l’espère, avec l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale, au terme d’une succession de motions de censure dont vous connaissez tous la mécanique, ne constitue que le début du travail que nous avons à accomplir. J’ai utilisé l’image peut-être exagérée de l’Himalaya, chaîne de montagnes de 2 000 kilomètres qui compte dix sommets de plus de 8 000 mètres. ».


Et d'indiquer son action des prochaines semaines, en clair, préparer dès maintenant le budget 2026 : « Nous devons proposer une stratégie pour les très grands sujets qui vont de l’éducation nationale à la santé, je n’en dresserai pas la liste exhaustive, en passant par la réforme de l’État, par laquelle je commencerai. Dès le lendemain de l’adoption du budget, je demanderai à chacun des ministres et des départements ministériels de lancer l’analyse en profondeur qui partira non pas des moyens, comme on le fait habituellement, mais des missions de l’État. Ces missions sont-elles accomplies, bien accomplies ? La répartition des missions avec les collectivités locales est-elle bonne ? L’allocation des moyens est-elle juste et pertinente ? Ce travail en profondeur sur l’action de l’État est l’un des premiers que nous avons à conduire. Je vous rassure, ce ne sera pas le seul : tous les domaines que nous avons identifiés comme étant en difficulté dans notre pays seront examinés un par un dès le lendemain de l’adoption du budget. ».
 

 
 


Lorsqu'il a pris la parole sur la motion de censure contre le PLF ce mercredi, François Bayrou a donné les mêmes indications : « Nous avons à reconstruire la conception même de notre action publique et de l'allocation des moyens qui sont dévolus à cette action publique. Mission par mission. (…) Si ce budget est adopté, alors nous allons, dès la semaine prochaine, repartir de chacun des départements ministériels, en analysant pour chacun d'entre eux si les missions qu'il doit conduire sont bien réalisés et si l'argent public qui leur est apporté est bien placé. C'est cela, l'action que nous allons entreprendre. C'est nécessaire, difficile, mais il n'y a pas de possibilité de continuer comme nous le faisons depuis des décennies avec une méthode extrêmement simple, comment faisons-nous le budget ? Nous prenons le budget de l'année précédente, nous y affectons plus ou moins un coefficient d'inflation... Tous ceux qui viennent à cette tribune disent : il faut baisser la dépense publique. Tous ceux qui viennent à cette tribune disent : vous mettez trop d'impôts, les foyers sont frappés, les entreprises sont frappées. Et en même temps, chacun exige qu'on dépense plus pour la préférence dans l'action qui est la sienne. Chacun se plaint de ce que l'augmentation du budget auquel il a été attaché est trop faible, et dans le même temps, qu'on n'ait pas fait le rééquilibrage que l'on attendait. L'un est contradictoire avec l'autre. (…) On ne peut pas reprendre la méthode éternelle qui consiste à repartir du budget précédent pour bâtir le budget suivant avec un coefficient d'augmentation des dépenses des impôts et des taxes. L'immense travail que nous avons à faire est un travail de reconstruction. (…) J'ai confiance que tout le monde peut participer à cet effort de reconstruction. (…) Le budget que nous allons adopter aujourd'hui, je le crois, est une étape, c'est même le début du début du commencement du travail que nous allons faire. Le gouvernement, naturellement, y participera. ».

C'est clair que l'alpinisme du Pyrénéen n'est pas terminé : il y a d'autres sommets dans l'Himalaya, après les premiers pics budgétaires ! Et François Bayrou jouit de plus d'une quarantaine d'années d'entraînement. Le voici en pleine épreuve.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 février 2025)
http://www.rakotoarison.eu


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