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Législatives 2024 (41) : intérêt national et mode de scrutin

« On me monte au premier donc, soi-disant pour me sonder. Je me rassure un peu. Je louche. Y avait pas de cercueils au premier. Rien que des lits, entre les paravents. » (Céline, "Guerre", éd. Gallimard, 2022).


 

 
 


Version célinienne des consultations à Élysée... Déjà un mois et demi sans gouvernement et le nouveau Premier Ministre n'est toujours pas nommé. La faute à qui ? Elle est partagée entre le Président de la République et les partis politiques qui composent l'Assemblée Nationale. Aucune majorité, donc la nécessité d'une grande coalition peut-être pas de soutien mais au moins de non-censure.

Le campus du PS qui a commencé ce 29 août 2024 à Blois (l'équivalent d'une université d'été) a montré que les socialistes étaient profondément divisés entre le maintien coûte que coûte au sein du NFP avec le mot d'ordre de Jean-Luc Mélenchon du programme NFP, rien que lui, tout lui, prôné par la direction actuelle sous la houlette du premier secrétaire Olivier Faure, et une part de plus en plus grandissante d'une aile réformiste qui constate l'absence de majorité du NFP et la nécessité de dialoguer avec d'autres forces politiques pour constituer le gouvernement. Selon Jean-Christophe Cambadélis, le prédécesseur d'Olivier Faure, seulement 25 députés socialistes (sur les 66) seraient sur la ligne Mélenchon.

Malgré le NFP, les vocations ne manquent pas pour donner de sa personne au pays (!) : Ségolène Royal, Bernard Cazeneuve, Didier Migaud, Pierre Moscovici se préparent... à tout hasard. Plus le temps passe et plus les noms se multiplient, au point de provoquer quelques éclats de rire sinon des sanglots. L'hilarité du désespéré.

De l'autre côté, Les Républicains, montrant un courage incroyable, refusent absolument de faire partie d'une coalition gouvernementale, préférant se réserver pour l'élection présidentielle. Cette ligne de Laurent Wauquiez a un opposant important, son ancien mentor Nicolas Sarkozy qui, dans une interview au "Figaro", ce vendredi 30 août 2024, a prôné un Premier Ministre issu de la droite parce que jamais les Français n'ont élu une Assemblée aussi à droite que celle de 2024 (ce qui est vrai). Xavier Bertrand, Christine Lagarde, entre autres, sont les propositions de l'ancien chef de l'État.

Dans les deux camps, PS et LR, les "coalitionnistes" (si j'ose les appeler ainsi) insistent sur le moment crucial (le Président de la République voudrait nommer le Premier Ministre avant la rentrée scolaire, il ne lui reste que ce week-end), et si les caciques de LR refusaient le pouvoir, Matignon irait à la gauche. Et réciproquement, si les caciques du PS refusaient le pouvoir, Matignon irait à la droite. La vérité, c'est qu'un gouvernement serait stable si et seulement s'il contenait à la fois des caciques du PS et des caciques de LR.

Les journalistes n'en finissent donc pas de pérorer sur le sujet. Mais cela peut provoquer certaines réactions. Arlette Chabot, éditorialiste politique sur LCI (et ancienne du service public, France 2 et France Inter), s'est cru obligée de mêler ses propres convictions aux contraintes du jeu politique actuel. Elle a dit que la clef pour la participation des socialistes au gouvernement, ce serait l'instauration de la proportionnelle (lorsqu'on en parle, il s'agit bien sûr pour le scrutin des élections législatives).

Sa raison est la même que celle de François Bayrou : avec la proportionnelle, les socialistes retrouveraient leur liberté et pouraient se désengager des mélenchonistes. Cette raison est à la fois fausse politiquement et honteuse philosophiquement.

Même avec un scrutin proportionnel, Jean-Luc Mélenchon imposerait une liste unique aux législatives pour avoir le meilleur ratio nombre de sièges sur nombre de voix. Et même si chaque parti du NFP y allait avec sa propre liste, cela ne changerait pas la situation des grandes villes aux élections municipales de 2026 qui serait un désastre pour le PS en cas de liste mélenchoniste contre lui.


Mais le plus grave est la philosophie de la proposition : on veut bouleverser les institutions pour le simple intérêt d'un parti. Et, comme je viens de l'expliquer, ce n'est même pas l'intérêt du PS, car cela n'empêcherait pas l'emprise de Jean-Luc Mélenchon sur toute la gauche qui provient des acteurs du drame et pas de la règle du jeu. En effet, tant que les socialistes n'ont pas un leader historique valable, du genre de François Mitterrand ou de Lionel Jospin, Jean-Luc Mélenchon (malgré son âge) dominera largement l'espace politique de la gauche, et en particulier lors de l'élection présidentielle qui est une compétition de personnalités plus que de partis politiques.

Néanmoins, il y a une inquiétude : des journalistes bien informées pensent que le Président Emmanuel Macron serait très ouvert pour instaurer la proportionnelle si cela était nécessaire pour former le gouvernement. C'est cette inquiétude que j'exprime donc ici. J'ai déjà, à de très nombreuses reprises, évoqué le poison institutionnel qu'était le scrutin proportionnel pour les élections législatives.

Aujourd'hui, la proportionnelle est sans fondement, sans intérêt, puisque les Français ont voté comme si c'était la proportionnelle avec une Assemblée ingouvernable. La preuve n'est pas encore tout à fait établie, mais depuis juillet 2024, voire depuis juin 2022, la France a du mal à être gouvernée par absence de majorité absolue. Le scrutin proportionnel ne résoudrait rien de ce problème important : l'absence de majorité absolue. Au contraire, le scrutin proportionnel empêcherait à l'avenir toute majorité absolue éventuelle. Et ce serait définitif, car qui dit absence de majorité absolue dit absence de majorité pour rechanger le mode de scrutin.


Il faut être clair : tous les mouvements politiques significatifs du paysage politique sont aujourd'hui bien représentés à l'Assemblée Nationale, il n'y a donc pas de déni démocratique avec le scrutin majoritaire à deux tours. À un seul tour, le 30 juin 2024, il y aurait eu une très large majorité absolue, de l'ordre de 350 à 400 députés pour le RN ! (scrutin britannique). Les deux tours ont permis de corriger le tir, puisque deux tiers des Français ont refusé un gouvernement RN. Les prétentions de la gauche mélenchoniste devraient se rappeler d'où on partait au moment de la dissolution, d'un gouvernement Bardella à 65% des sièges. Cette gauche-là pourrait être plus humble et admettre que cette victoire RN a été évitée grâce à la conjonction du NFP et du camp présidentiel, et sans ce dernier, la majorité serait allée au RN.

Avec la proportionnelle, tout le monde y perdrait. D'abord, bien sûr, le RN, qui pourtant avait pour tradition historique de réclamer la proportionnelle car le scrutin majoritaire l'empêchait d'avoir des élus. Aujourd'hui, on voit bien qu'il n'y a plus de plafond de verre, et pour pouvoir gouverner seul, le scrutin majoritaire est indispensable au RN.


Mais ce qui est valable pour le RN est valable pour tous les partis dits de gouvernement, LR évidemment, mais aussi le PS. En voulant la proportionnelle, le PS s'interdirait de gouverner seul, et le pire, c'est que le PS est sans doute le parti qui a le plus profité du scrutin majoritaire, tant en 1981 (s'affranchissant des communistes) qu'en 1997 (tirant son épingle du jeu lors de triangulaires avec le FN).

La victoire législative du camp macroniste en 2017, un parti politique sans histoire, sans tradition, sans idéologie, venu de nulle part, et la victoire au premier tour du 30 juin 2024 du RN ont montré que le scrutin majoritaire n'empêchait pas à des partis marginaux, centristes ou extrémistes d'atteindre la majorité absolue leur permettant de gouverner seul. La démonstration a été interrompue pour le RN, mais ce parti reste encore le favori des prochains scrutins nationaux, c'est ce que la gauche semble avoir complètement oublié depuis un mois et demi.

On voit bien qu'aucun parti n'est partant pour faire cette grande coalition qui est nécessaire pour gouverner. La proportionnelle rendrait cette coalition nécessaire à tous les coups. La classe politique, visiblement, n'y est donc pas prête puisque chacun reste sur ses positions de manière obstinée.

Enfin, avec la proportionnelle, ce serait avant tout le peuple qui serait le grand perdant. Les électeurs qui, de bonne foi, voteraient pour un parti ne sauraient absolument pas ce qu'adviendrait leur vote, ne sauraient pas si ce parti serait dans une coalition ou une autre. C'était le principe du scrutin majoritaire, qui n'a pas fonctionné cette fois-ci, celui de conclure des alliances, des coalitions avant les élections, en toute transparence, et pas après les élections, dans des conciliabules, dans de la cuisine politicienne, hors de tout contrôle des électeurs.

Au-delà du choix des alliances et des programmes, ce serait bien le choix des personnes qui serait remis en cause par la proportionnelle puisque l'avantage pour les partis, c'est de choisir eux-mêmes ses cadres, et pas leurs électeurs, qui serait ou ne serait pas député, simplement avec l'ordre dans la liste. Tous les apparatchiks seraient alors en tête de liste et seraient élus automatiquement. Pour être sur une place éligible, il ne faudrait plus aller parler aux électeurs et les convaincre, smais simplement se prostituer auprès des chefs du parti.

L'intérêt national ? Aucun. L'intérêt des appareils de parti serait en revanche énorme puisqu'ils pourraient placer leurs permanents à des places éligibles, ce qui permettrait de les financer (au frais de la République). Quant aux personnalités un peu particulières, originales, hors parti, elles ne pourraient plus être élues faute d'un parti suffisamment fort pour gagner des sièges : exit les Nicolas Dupont-Aignan (certes battu en 2024), Bernard Tapie, Christine Boutin, Jean Lassalle, Philippe de Villiers, et autres électrons libres, qui n'auraient jamais été élus députés sans scrutin majoritaire (protégée de Raymond Barre, Christine Boutin a été élue en 1986 parce qu'elle n'était pas encore Christine Boutin et elle s'est émancipée seulement plus tard). Ces personnalités un peu en dehors de la norme politique, aussi singulières soient-elles, ont beaucoup apporté à la vie politique par leur pluralisme, leur originalité, leur origines diverses. Elles contribuent aussi le renouvellement de la classe politique.

Enfin, à l'heure où le fossé est grandissant entre la classe politique et le peuple, la proportionnelle accroîtrait encore plus ce fossé en éloignant les députés de leurs électeurs. Attachés à une circonscription, les députés ont un rôle majeur auprès de la population de leur circonscription, on dit souvent qu'ils sont des assistantes sociales, confrontés à des problèmes de recherche d'emploi, de logement, etc. Ce lien avec la réalité populaire, déjà meurtri par l'interdiction du cumul avec un mandat local opérationnel (comme maire), est pourtant essentiel pour la cohésion des institutions. Sans cet attachement à une circonscription, le député deviendrait hors sol, et n'aurait plus les moyens de comprendre sur le terrain les conséquences des lois votées ni d'envisager de les améliorer. Qui connaît le nom de la totalité (les 81) députés européens élus le 9 juin 2024 ? Quel député européen sortant, à la fin de son mandat, a fait un bilan entendu de son mandat, autrement que sur son blog que personne ne lit ?


La proportionnelle n'est qu'une idée de politiciens pour politiciens. Des journalistes aussi y croient, ainsi que des constitutionnalistes, car cela ferait de nouvelles normes, et toute nouveauté est bonne à prendre, pour les journalistes, cela fait de l'audience, pour les universitaires, cela fait de l'expérimentation en grandeur nature. Mais le peuple n'est pas un jouet.

Le problème actuel qui se pose depuis le 7 juillet 2024, ce n'est pas du tout le mode de scrutin. En amont, c'est le fait que les électeurs ont envoyé à l'Assemblée une représentation très éclatée de la vie politique. En aval, c'est le fait que les partis politiques ne sont pas (encore) capables d'appréhender cette décision des électeurs et veulent gouverner à 100% ou ne rien faire (aut Ceasar aut nihil).

L'intérêt national, ce n'est pas modifier la règle du jeu pour que la prochaine fois, ce soit encore pire que cette fois-ci. L'intérêt national, c'est de prendre ses responsabilités avec la situation parlementaire de fait voulue par les électeurs (bien malgré eux), et de travailler ensemble pour le bien commun. Et parmi les sujets les plus chauds, il y en a un qui nécessite un ressaisissement évident, c'est le logement : il faut trouver de nouveaux mécanismes pour favoriser la construction de nouveaux logements. Toute la politique du logement est à revoir, et celle-ci ne se détermine pas par une idéologie quelconque, mais par des propositions concrètes. Il y a ainsi quelques domaines sur lesquels le prochain gouvernement pourrait travailler hors de toutes arrières-pensées politiciennes et électoralistes, hors de toute passion, de toute colère, de toute démagogie, pour le bien commun.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 août 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Législatives 2024 (41) : intérêt national et mode de scrutin.
Législatives 2024 (40) : Patrick Cohen a raison !
Législatives 2024 (39) : Consultations et mains tendues !
Législatives 2024 (38) : la coconstruction du Premier Ministre.
Législatives 2024 (37) : stupide chantage à la destitution !
Législatives 2024 (36) : Gérald Darmanin plaide pour un Premier Ministre non macroniste !
François Hollande sera-t-il le Premier Ministre de son ancien Ministre de l'Économie ?
Législatives 2024 (35) : Vers une cohabitation du troisième type ?
Législatives 2024 (34) : Lucie Castets noyée dans une réalité alternative !
Législatives 2024 (33) : Le grain de sel du Sénat !
Législatives 2024 (32) : Le casse-tête de Lucie Castets.
Législatives 2024 (31) : Emmanuel Macron et les joyeux JO.
Interview du Président Emmanuel Macron le 23 juillet 2024 sur France 2 (vidéo intégrale).
Claude Malhuret au Sénat : le spectacle continue !
Législatives 2024 (30) : coalition ou pacte ?
Législatives 2024 (29) : le staff de l'Assemblée Nationale.
Législatives 2024 (28) : la stratégie du chaos institutionnel de Jean-Luc Mélenchon.
Législatives 2024 (27) : l'émotion de Yaël Braun-Pivet.
Législatives 2024 (26) : les larmes de Marine Tondelier.
Législatives 2024 (25) : faut-il ostraciser le RN à l'Assemblée Nationale ?
Législatives 2024 (24) : Huguette Bello, mélenchonette en peau de lapin.
Législatives 2024 (23) : grand pays recherche son gouvernement.
Législatives 2024 (22) : qui au perchoir ?
Législatives 2024 (21) : marche sur Matignon ?
Lettre aux Français par Emmanuel Macron le 10 juillet 2024 (texte intégral).
Législatives 2024 (20) : le poison du scrutin proportionnel.
Législatives 2024 (19) : quel possible Premier Ministre pour une impossible majorité ?
Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
Résultats du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024.
Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
Législatives 2024 (17) : rien n'est joué dimanche prochain !
Législatives 2024 (16) : la question de dimanche prochain.
Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
Appel aux sociaux-démocrates.
Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
Sidération institutionnelle.
Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

 
 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240830-proportionnelle.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-41-interet-256544

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/30/article-sr-20240830-proportionnelle.html



 

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