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françois guizot

  • François Guizot à Matignon ?

    « Il y a eu un temps, où la conquête des droits sociaux et politiques a été la grande affaire de la nation. (…) À présent, usez de ces droits ; fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition matérielle et morale de la France ; voilà les vraies innovations ; voilà ce qui donnera satisfaction à cette ardeur du mouvement, à ce besoin de progrès qui caractérise cette nation. » (François Guizot, le 1er mars 1843, à la Chambre des députés).




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    Cette injonction semble toujours d'actualité, plus de cent quatre-vingts ans plus tard ! Son auteur, François Guizot, est mort il y a exactement 150 ans, le 12 septembre 1874. Il avait 86 ans, avait définitivement quitté la vie politique en 1849 à son échec aux élections législatives et passait son temps à écrire, historien érudit de la vie politique (membre de l'Académie française depuis 1836 !).

    Mais le plus important était qu'il n'était pas qu'un simple observateur de la vie politique, il en a été l'un des acteurs majeurs sous la Monarchie de Juillet, entre 1830 et 1848, sous le roi des Français Louis-Philippe, cumulant de nombreux ministères successifs jusqu'à devenir chef du gouvernement du 18 septembre 1847 au 24 février 1848, date de la Révolution de 1848. Il a été notamment longtemps Ministre des Affaires étrangères (du 29 octobre 1840 au 23 février 1848) et auparavant, a fait adopter une loi sur l'enseignement qui a permis de doubler le nombre des écoles primaires. Membre de l'opposition sous le roi Charles X, il était le représentant de la politique orléaniste de Louis-Philippe, d'ouverture économique. François Guizot représentait le libéralisme économique en France.

    À son époque, François Guizot était peu populaire, trop conservateur pour les révolutionnaires et les républicains, trop audacieux pour les conservateurs et les royalistes. Son rival était Adolphe Thiers qui a compris qu'il valait mieux la république, mais conservatrice, pour éviter les révolutions et assurer la stabilité politique qui favorise la prospérité économique. Les deux hommes étaient opposants à Napoléon III sous le Second Empire, rejetant tout autocratisme politique.

    Du reste, au contraire des images populaires qui furent véhiculées par la gauche révolutionnaire pendant deux siècles, François Guizot se moquait beaucoup de l'argent qui ne l'intéressait pas personnellement (il est même mort pauvre) mais souhaitait l'émergence et la prospérité d'une classe moyenne qui allait faire tourner l'économie :
    « Je veux, je cherche, je sers de tous mes efforts la prépondérance politique des classes moyennes en France. L’organisation définitive et régulière de cette grande victoire que les classes moyennes ont remportée sur le privilège et sur le pouvoir absolu de 1789 à 1830, voilà le but vers lequel j’ai constamment marché. » (discours à la Chambre du 3 mai 1837). Victor Hugo, qui ne l'appréciait guère, le décrivait ainsi dans "Choses vues, 1847-1848", avec ses mots crûs : « M. Guizot est personnellement incorruptible et il gouverne par la corruption. Il me fait l’effet d’une femme honnête qui tiendrait un bordel. ».

    L'objectif de gouvernement de François Guizot était triple : paix, prospérité et stabilité. Ce sera sans doute les objectifs du nouveau Premier Ministre Michel Barnier dans un cadre institutionnel un peu particulier, inédit, que certains appellent maintenant "coalitation" (mot valise pour évoquer coalition et cohabitation ; en d'autres termes, une cohabitation où le parti présidentiel participerait au gouvernement).

    Déjà dans le choix de la composition de son gouvernement, plus encore dans le choix de ses priorités qui seront énoncées dans son discours de politique générale devant les députés au début du mois d'octobre 2024, Michel Barnier devra se donner les conditions de l'apaisement des Français, les conditions de la poursuite de la crédibilité économique de la France, et les conditions de la stabilité politique.

     

     
     


    Apaisement des Français : pendant la trêve olympique, les Français étaient heureux d'une sorte de mise sur pause des divisions politiques après une période électorale assez longue et pénible, stressante (avril-juillet 2024). À leur retour de vacances, ils étaient toutefois inquiets de l'absence de nomination du Premier Ministre et le choix de Michel Barnier a été salué comme une sorte de soulagement. Soulagement d'avoir un nouveau chef du gouvernement, dont l'expérience lui donne à la fois d'être immédiatement opérationnel et surtout d'avoir cette autorité politique et institutionnelle indispensable tant vis-à-vis du Président de la République que des parlementaires. Le choix des ministres devra aussi aller dans ce sens, notamment en ce que la composition soit représentative des Français, de leur éclatement de représentativité, et donc, il faudrait à l'évidence que certains ministres soient de gauche. Soulagement aussi que le choix du nouveau Premier Ministre ait reçu des réactions bienveillantes tant parmi une majorité de groupes parlementaires (une majorité de non-censure) que parmi les Français eux-mêmes. Un attentisme bienveillant qui permettra au moins à Michel Barnier de poser les sujets sur la table et de les négocier, chose qui serait impossible s'il était censuré immédiatement.

    Crédibilité économique : ce sera bien sûr la première épreuve du nouveau gouvernement, le projet de loi de finance pour 2025. J'avais analysé le projet de loi de finances 2018 (le premier de l'ère Macron) comme un projet qui se différenciait de François Guizot en ce sens qu'il faisait la part trop belle aux très riches et pas assez à la classe moyenne. Ce sera donc le défit de Michel Barnier de soulager fiscalement la classe moyenne et de trouver d'autres recettes fiscales auprès des plus riches, à la condition qu'il s'agisse bien de très-riches et pas d'une classe moyenne supérieure qui ne serait qu'une classe moyenne. Cette crédibilité, c'est évidemment la trajectoire de réduction du déficit public à 3% d'ici à 2028 et donc, la capacité soit à réduire les dépenses publiques, soit à augmenter les recettes fiscales et sociales, soit probablement les deux. Globalement, ce sera plutôt un pied sur la gauche.

    Enfin, la stabilité politique du gouvernement. Un ministre n'est jamais ministre très longtemps a priori, c'est un contrat à durée ultradéterminée. Ici, l'objectif de Michel Barnier serait de tenir au moins pendant un an, jusqu'en été 2025, le temps que le Président de la République retrouve son droit de dissolution. Sans celui-ci, la situation institutionnelle risque d'être bloquée si le gouvernement Barnier venait à être rapidement censuré. C'est la raison pour laquelle il devra bien faire des concessions également sur sa droite, notamment à propos de l'immigration, pour s'attirer la bienveillante neutralité du groupe RN. Il ne s'agit en aucun cas d'un accord, mais d'un équilibre politique à trouver : la gauche, en particulier le parti socialiste, a refusé l'option Bernard Cazeneuve à Matignon qui aurait donné aux socialistes un poids politique immense sur le gouvernement (droit de vie ou de mort). Ils ont préféré refuser leur propre ressortissant qui était le dernier Premier Ministre socialiste à ce jour. Emmanuel Macron a dû nécessairement se tourner vers sa droite pour préserver la stabilité politique, ce qui a donné, mécaniquement, un poids politique immense au RN.

    Michel Barnier, le Premier Ministre le plus âgé de toutes les républiques, donne un arrière-goût de vieille France à la vie politique française. Et ce n'est pas forcément un inconvénient. Il replace la France dans une trajectoire historique plus large, gaulliste, nationale, libérale. Et soyons clairs, peu, à part quelques arrivistes en fin de carrière, voulaient prendre sa place aujourd'hui et la plupart des responsables politiques sont bien contents de trouver un homme responsable pour s'y coller. François Guizot à Matignon aujourd'hui ? Peut-être. Ce n'est pas un académicien, ce n'est pas un historien, c'est un montagnard, un paysan, et aussi étonnant que cela puisse être, au même titre que furent populaires en leur temps Michel Rocard, Édouard Balladur et Lionel Jospin, Michel Barnier pourrait même bénéficier d'un préjugé favorable de la part du peuple français sensible à l'épreuve qu'il s'apprête à franchir. Auquel cas, les députés devront en tenir compte. Tous les députés.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (11 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    François Guizot à Matignon ?
    Guizot vs PLF2018.
    La France est-elle un pays libéral ?
    Benjamin Constant.
    Saint-Just.
    Adolphe Thiers.
    Napoléon III.
    Georges Clemenceau.
    Victor Hugo.
    L’élection présidentielle de 1848.
    Le Traité de Vienne.
    Napoléon Ier.
    Sarajevo.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240912-guizot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-guizot-a-matignon-256680

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/11/article-sr-20240912-guizot.html