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Législatives 2024 (42) : Bernard Cazeneuve et le retour à la case départ ?

« À partir du moment où la gauche n'est pas sur le chemin de la crédibilité, elle ne peut pas incarner une alternance, et à partir du moment où elle encourage par ses positions toutes les désinhibitions, on voit qui en bénéficie. (…) Je ne suis pas favorable à une stratégie qui fabrique des votes d'extrême droite en quantité industrielle. » (Bernard Cazeneuve, le 4 décembre 2022 sur Radio J).



 

 
 


En cause, le parti des insoumis de Jean-Luc Mélenchon dont la bête noire, justement, est l'ancien Premier Ministre socialiste Bernard Cazeneuve. Ce dernier a été invité à l'Élysée pour s'entretenir avec Emmanuel Macron ce lundi 2 septembre 2024 dans la perspective de la nomination du nouveau Premier Ministre. Les deux anciens chefs de l'État Nicolas Sarkozy et François Hollande seront également reçu par l'actuel Président de la République ce lundi, a-t-on appris dimanche de leur entourage respectif.

Alors que depuis le 7 juillet 2024, le nom de Bernard Cazeneuve était régulièrement cité avec celui de Xavier Bertrand
(également invité à l'Élysée ce lundi) pour succéder à Gabriel Attal avec cette Assemblée sans majorité, dans une situation particulièrement inextricable, due principalement à une réalité alternative proclamée par Jean-Luc Mélenchon ("Nous avons gagné !"), jamais, pour l'instant, le dernier Premier Ministre de François Hollande avait encore eu de contact avec Emmanuel Macron depuis sept semaines.

Bernard Cazeneuve n'est pas particulièrement candidat à Matignon, au contraire de quelques politiques en mal d'emploi (comme Ségolène Royal), ou de complètes inconnues hissées au rang de déesses en disponibilité (comme Lucie Castets), mais a toujours admis qu'il répondrait présent si on le lui demandait (parce que, de toute façon, Matignon ne se refuse pas).

Actuellement, Bernard Cazeneuve est le recordman de brièveté à Matignon sous la Cinquième République, Premier Ministre pendant cinq mois et neuf jours du 6 décembre 2016 au 15 mai 2017. Il a déjà été dépassé par Gabriel Attal, pourtant nommé seulement le 9 janvier 2024 (presque huit mois). Pour les commentateurs et les observateurs de la vie politique, Bernard Cazeneuve serait "l'oiseau rare" de la situation, "cochant le plus de cases possible".

D'abord, il est socialiste, et c'est un plus dans la situation actuelle. En effet, la "grande coalition" devrait rassembler dans une sorte d'union de non-censure tous les partis de gouvernement, c'est-à-dire le bloc présidentiel, le PS et LR. Politiquement, la reconduction d'un membre du bloc présidentiel à Matignon est inconcevable car il y a un fort besoin de changement, même si dans les sondages, Gabriel Attal est plébiscité et serait le meilleur Premier Ministre possible (ce n'est pas la première fois que les Français sont en plein paradoxe). Il reste donc LR et le PS.

Pour LR, Laurent Wauquiez, malgré la position de Nicolas Sarkozy, a exclu toute participation de LR au gouvernement et le potentiel candidat originaire de LR, Xavier Bertrand, aurait bien du mal à recevoir le soutien total de ses anciens compagnons de route et par ailleurs rivaux récurrents à l'élection présidentielle.

Du côté du PS, la chose est un peu différente car en principe, la direction du PS prône l'union au sein de la nouvelle farce populaire (NFP) pour qui seule la nomination de Lucie Castets est admissible. Néanmoins, on l'a vu cette semaine à Blois, le PS est profondément divisé et beaucoup de voix discordantes pour ne pas écrie dissidentes se sont fait entendre pour que le PS ne rate pas l'occasion historique de diriger à nouveau le gouvernement alors que cela devenait rare.

Bernard Cazeneuve serait alors l'homme de la situation. Pas encore trop vieux (61 ans), mais très expérimenté, tant comme élu local (ancien maire de Cherbourg) que comme personnalité nationale (député, Ministre délégué aux Affaires européennes du 16 mai 2012 au 19 mars 2013, Ministre délégué au Budget du 19 mars 2013 au 2 avril 2014, Ministre de l'Intérieur du 2 avril 2014 au 6 décembre 2016 et enfin, Premier Ministre), il a été l'heureuse surprise de casting du quinquennat de François Hollande (avec Christiane Taubira et Emmanuel Macron). Celui qui avait été porte-parole du candidat Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012 a su acquérir une réputation d'esprit de responsabilité au service de l'État, de grand républicain soutenant la laïcité contre les communautarismes islamocompatibles des mélenchonistes, une réputation reconnue également par ses adversaires politiques (de droite).

On le dit de centre gauche ou social-démocrate (ce sont ses adversaires de gauche ultradicalisée qui l'affirment), mais lui se considère toujours socialiste même s'il a quitté le PS en 2022 à regret à cause de l'alliance électorale contre-nature avec les insoumis, d'abord dans le cadre de la Nupes puis du NFP, ce qui l'a conduit le 1er février 2023 à créer son propre parti appelé La Convention, à laquelle se sont joints, en mars 2023, le MDC (Mouvement des citoyens fondé par Jean-Pierre Chevènement et Max Gallo) et le PRG (Parti radical de gauche dont Bernard Cazeneuve était lui-même membre entre 1985 et 1987 avant d'intégrer le PS). À l'Assemblée, le président du groupe LIOT (Stéphane Lenormand) fait partie de ce parti, ainsi qu'au Sénat, Patrick Kanner, le président du groupe socialiste, et Jean-Claude Requier, le président du groupe RDSE (radical).


Le 25 juin 2024, Bernard Cazenave a même cosigné, avec notamment Manuel Valls, Julien Dray, Élisabeth Badinter, Philippe Torreton, un appel publié dans "Le Monde" : « Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet engageront, à un niveau rarement atteint dans l’histoire de la Ve République, les valeurs fondamentales sur lesquelles repose notre démocratie : le respect des personnes et des institutions, la quête de la vérité, la défense de la laïcité et le rejet viscéral de l’antisémitisme et du racisme. C’est peu dire que le Rassemblement national (RN), dont les racines puisent dans les eaux les plus obscures de l’histoire, doit être combattu. Mais ces valeurs ne sauraient souffrir aucun compromis, fût-ce au nom d’un barrage contre l’extrême droite. Elles ne peuvent pas plus être laissées à la merci de ceux qui les malmènent depuis des années. Camouflés au sein d’un prétendu front populaire, les candidats de La France insoumise en trahissent jusqu’à son idéal historique. Face aux risques majeurs engendrés par le cynisme des uns et la lâcheté des autres, nous appelons tous les citoyens qui refusent de se voir dépossédés de leur choix à ne pas se soumettre aux calculs aussi illégitimes que dérisoires. (…) Notre voix ne se portera ni sur un candidat RN ni sur un candidat LFI. ».

Paradoxalement, malgré une proximité idéologique avec lui, Bernard Cazeneuve n'a jamais été proche d'Emmanuel Macron, refusant de se jeter en 2017 dans l'aventure En Marche (par loyauté envers François Hollande). Et inversement, le Président de la République reste très réticent à nommer Bernard Cazeneuve à Matignon car cela signifierait qu'il finirait ses deux mandats là où il les avait commencés, avec un retour à la case départ (sans gagner 20 000 francs ?), celle où Bernard Cazeneuve était Premier Ministre de François Hollande. Il reste qu'objectivement, Bernard Cazeneuve serait la personnalité la plus apte à rassembler toutes les bonnes volontés du pays dans l'intérêt national et le sens de l'État.

Son expérience à Matignon précisément est intéressante dans cette situation de confusion de 2024 où il faut avant tout assurer la continuité de l'État. Il le disait dans une longue interview peu avant la dernière élection présidentielle : « Il n’était plus temps d’engager de grandes réformes, mais seulement de faire en sorte que l’État continue à être tenu, dans un contexte où les ambitions personnelles et les tensions inhérentes à la campagne pouvaient prendre le dessus, en occultant le sens de l’État. ».

 
 


C'était ce que disait Bernard Cazeneuve en mars 2022 pour la revue des anciens étudiants de l'IEP, "Émile" n°24 (propos recueillis par Louis Chahuneau, Bernard El Ghoul, Sandra Elouarghi et Maïna Marjany) sur les institutions. L'ancien Premier Ministre estimait que la crise politique n'était pas une crise des institutions mais une crise des acteurs politiques qui ns s'étaient pas élevés à la mesure des enjeux : « Ce ne sont pas les institutions de la Ve République qui sont à bout de souffle, mais le monde politique, les partis et les corps intermédiaires, qui peinent à se hisser à la hauteur des grands défis auxquels la nation est confrontée. Les modes de communication politique ont par ailleurs beaucoup changé  : la numérisation et les chaînes d’information en continu ont très largement contribué à la narcissisation de la vie publique et donné le sentiment aux aventuriers égotiques et possiblement extrémistes qu’ils pouvaient endosser les habits du chef de l’État, sans avoir préalablement fait l’expérience des épreuves de la politique, ni pris conscience de la dimension hautement symbolique de la fonction. Imperceptiblement, on s’est éloigné de l’esprit des concepteurs de la Ve République et de la haute idée qu’ils se faisaient de la magistrature suprême. C’est par ailleurs un travers très français, que celui qui consiste, pour la classe politique, à considérer que ses propres manquements sont imputables aux institutions et à vouloir en modifier en permanence les équilibres au gré des modes ou de spéculations de court terme. ».

Il notait cet équilibre subtil des institutions : « La Constitution de 1958 a instauré un équilibre subtil entre les pouvoirs exécutif et législatif. Grâce à l’instrument de la dissolution, le gouvernement pouvait s’assurer que le Parlement ne serait pas tenté d’organiser en permanence l’instabilité gouvernementale ou la paralysie de son action. Inversement, le Parlement pouvait toujours censurer le gouvernement, dès lors qu’il acceptait de prendre le risque de devoir retourner devant les électeurs. Étaient ainsi conjugués la cohérence et la cohésion, le fait majoritaire et le refus de l'arbitraire. ».

La doctrine Cazeneuve sur les institutions est la suivante : « Je suis pour ma part favorable au retour du septennat en accord avec l’esprit des origines de la Ve République  : le Premier Ministre doit gouverner au quotidien et le Président arbitrer sur l’essentiel. Le Parlement doit contribuer à l’élaboration de la loi, ainsi qu’à son évaluation, et au contrôle du gouvernement, en usant des pouvoirs dont il dispose déjà. Cette architecture, qui procura à la France des décennies de stabilité politique, a par ailleurs permis à des alternances de s’opérer sans drame et à la nation de surmonter toutes les crises auxquelles elle s’est trouvée confrontée. ».

Et il a mis en garde contre toutes les velléités de remettre en cause notre Constitution, comme le souhaitent Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure : « Je redoute que la VIe République, que certains appellent de leurs vœux, n'aboutisse à rien d’autre qu’au retour de la IVe République, les talents en moins. ».

Et de rester optimiste sur l'avenir du pays : « Les Français aspirent à ce qu'on leur épargne le bruit de fond des commentaires permanents et aléatoires pour ne retenir que ce qui est fondamental à leurs yeux. Je ressens que le temps du retournement des attentes citoyennes est proche et que la crise que nous vivons est annonciatrice d'un nouveau cycle, qui permettra à la pensée rationnelle de reprendre ses droits et à l'esprit de nuance de mieux rendre compte du réel dans toute sa complexité. C’est bien là le préalable à toute action efficace et juste. (…) Je ne pense pas que la France soit condamnée au populisme, dès lors qu'elle décide de ne pas être condamnée à la médiocrité. Je suis optimiste, car j'ai confiance dans l'intelligence du peuple français. Je crois que nous sommes un peuple politiquement intelligent. ». C'était exactement ce qu'exprimait Emmanuel Macron sur Génération Do It Yourself le 24 juin 2024.

Un homme politique aussi structuré, ayant autant le sens des responsabilités, avec un expérience qui lui a fait affronter le pire qu'un gouvernant peut vivre (les attentats en 2015 et 2016), avec sa vision régalienne de la nation, ne peut que s'entendre avec Emmanuel Macron, qui a une vision plus économique de la France, pour gouverner un pays d'ingouvernables.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er septembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


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