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Le Premier Ministre de la Saint-Nicolas

« À partir d’aujourd’hui, c’est une époque nouvelle qui doit commencer où tous devront agir pour la France et où il faudra bâtir des compromis nouveaux. Parce que la planète avance, parce que les défis sont nombreux et parce que nous devons être ambitieux pour la France. Nous ne pouvons nous permettre ni les divisions ni l’immobilisme. C’est pourquoi je nommerai donc dans les prochains jours un Premier Ministre. Je le chargerai de former un gouvernement d’intérêt général représentant toutes les forces politiques d’un arc de gouvernement, qui puissent y participer ou à tout le moins qui s’engagent à ne pas le censurer. Le Premier Ministre aura à mener ces consultations et former un gouvernement resserré à votre service. » (Emmanuel Macron, allocution du 5 décembre 2024).




 

 
 


Le gouvernement Barnier censuré, on retourne à la case départ du 7 juillet 2024 avec le même problème : comment désigner un gouvernement alors qu'à l'Assemblée, divisée en trois blocs de même taille, aucune majorité ne semble possible ? Quel Premier Ministre ?

L'adoption de la motion de censure
le 4 décembre 2024 a été un événement institutionnel majeur de notre histoire politique. Depuis le début de la Cinquième République, c'est la seconde fois qu'un gouvernement a été censuré. La première fois, c'était le 5 octobre 1962 avec le Premier Ministre Georges Pompidou (on a retrouvé des images des deux seuls Premiers Ministres censurés).

Mais la censure de 2024 est incomparable avec celle de 1962. En effet, la censure de 1962 était fondatrice d'une certaine pratique institutionnelle. L'adoption de la motion de censure a eu pour conséquence la dissolution de l'Assemblée. Ainsi, le Président de la République avait le dernier mot et si aucune motion n'a jamais été encore adoptée de nouveau, jusqu'en 2024, c'était par cet équilibre de la terreur : en cas d'adoption d'une motion de censure, la conséquence la plus probable est le retour aux urnes, la dissolution, pour permettre au peuple de départager le conflit entre l'exécutif et le législatif. Le problème de 2024, c'est que l'arme de la dissolution s'est dissoute avec l'Assemblée puisqu'il ne peut pas y avoir de nouvelle dissolution avant l'été prochain.


 

 
 


En quelque sorte, 2024 est absolument l'inverse de 1962, c'est la dissolution du 9 juin 2024, qui a abouti à l'élection d'une Assemblée impossible le 7 juillet 2024, ce qui a entraîné une motion de censure le 4 décembre 2024. La dissolution a eu pour conséquence la censure. Et le problème, c'est que les mêmes causes risquent d'avoir les mêmes effets.

Du reste, Marine Le Pen, dans un entretien dans "Le Figaro", a confirmé ce vendredi qu'elle pourrait toujours voter une nouvelle motion de censure dans les prochaines semaines ou prochains mois, montrant par là la même irresponsabilité et le même cynisme que Jean-Luc Mélenchon. C'est aussi pour cela que le PS du mou Olivier Faure, soumis aux insoumis, a un peu bougé dans sa posture.

Un accord de non-censure pourrait être conclu dans « l'arc de gouvernement », comme le souhaiterait Emmanuel Macron, à savoir avec la gauche, le centre, la droite républicaine et le macronisme. Le PS réclame encore un Premier Ministre « de gauche » tandis que LR censurerait une politique de gauche. La porte est étroite, comme dirait André Gide, mais elle s'est ouverte pour éviter la dépendance du futur gouvernement aux caprices lepénistes.

Mais qui pourrait être nommé à Matignon ? On l'a vu, la personnalité, son expérience politique, parlementaire, sa recherche de consensus, sa clarté dans les idées et dans les négociations, ont dans de tels moments une influence capitale. La personnalité de Michel Barnier était pourtant intéressante et même adaptée aux difficultés des temps, mais à un moment donné, sentant le ridicule d'être mené ainsi par le RN, il y a eu arrêt des discussions. Sans doute saura-t-on dans les années ou décennies à venir ce qui s'est réellement passé pour arriver à une motion de censure, mais il fallait bien comprendre que dans la configuration de la nomination de Michel Barnier, le 5 septembre 2024, chaque jour qui passait était un jour de miracle. La vie est une création continue.


 

 
 


Malgré la posture un peu différente du PS, tant que les socialistes ne se désolidarisent pas très clairement des insoumis, aucun réel accord ne pourra aboutir avec les formations politiques de l'actuel socle commun. Cela signifie surtout qu'un accord d'appareil paraît peu probable, tant les positions sont divergentes, et que seul, le Premier Ministre, par son rayonnement, son talent de négociateur et son réseau, pourra vraiment fédérer une équipe hétéroclite. Rappelons enfin que l'obstacle du budget n'est toujours pas franchi et qu'en janvier ou février 2025, il restera encore à se mettre d'accord sur les lois de finances pour 2025, ce qui avait provoqué la motion de censure il y a deux jours.

On a dit que les potentiels Premiers Ministres ne seraient que des hommes. Eh bien, non ! Il y a deux femmes et commençons par elles, et, chose étrange car en général, les plus ambitieux sont plutôt les hommes, ce sont les deux seules candidates clairement autoproclamées à Matignon.


La première est déjà connue depuis le 23 juillet 2024 : Lucie Castets, non contente des humiliations successives dont elle a été victime de la part de ses "amis" de la nouvelle farce populaire (NFP), s'est déclarée préparée à exercer les fonctions de Première Ministre. On aurait dit un titre du Gorafi, a pensé un journaliste influent sur Twitter ! Elle n'a jamais été élue, elle dit n'importe quoi sur le budget depuis quatre mois et demi (bien qu'ancienne directrice financière de la ville de Paris, certes hyper-endettée), elle a été "répudiée" (y a-t-il un autre terme pour la secte ?) par les insoumis pour une possible candidature à Grenoble... mais, comme les Poilus de 1914 avec leur pantalon bien rouge, elle est montée sur le front surtout pour prendre les coups et faire guignol.

La deuxième candidate à Matignon est finalement la version féminine de Manuel Valls dans l'arrivisme : Ségolène Royal a fait acte de candidature auprès du Président de la République. L'ancienne candidate à l'Élysée, qui a un certain charisme, c'est vrai, ne représente pourtant plus rien sinon l'antenne de BFMTV. Elle se verrait bien à tous les postes possibles depuis qu'elle a quitté son ministère en 2017. La preuve qu'elle veut repousser l'âge de la retraite à au-delà 70 ans, comme le gourou de FI.

Plus sérieusement (quel dommage de dire cela parce qu'il manque des femmes à stature), le nom de Sébastien Lecornu, l'actuel Ministre des Armées et premier-ministrable déjà en janvier 2024 (avant la dissolution), considéré comme le chouchou du Président, revient relativement souvent. Il a pour lui d'être originaire du parti Les Républicains, et aussi d'avoir organisé des rencontres entre Édouard Philippe, Marine Le Pen et Jordan Bardella. Homme particulièrement lisse, il est sans aspérité et peut donc plaire. Ou plutôt, ne pas se faire détester.

D'autres noms reviennent régulièrement aussi : si Xavier Bertrand en meurt beaucoup d'envie, il sait que seul un accord en bonne et due forme avec le PS lui éviterait la censure du RN. Bruno Retailleau fait aussi partie des favoris car il a incarné très politiquement sa nouvelle fonction de Ministre de l'Intérieur (c'était à peu près le seul ministre qu'étaient capables de citer les Français en général), mais sa nomination renforcerait le schéma perdant de l'expérience Barnier. On parle aussi de Jean Castex dont la convivialité consensuelle mettrait un peu de chaleur dans une Assemblée tendue (et la réussite des Jeux olympiques et paralympiques plaide en faveur du patron de la RATP). Ou encore de François Baroin, maire de Troyes, ancien président de l'influente Association des maires de France, qui avait accueilli Emmanuel Macron lors des congrès des maires de France dans une atmosphère très tendue. Ce dernier avait toutefois trouvé des activités plus juteuses (et tranquilles) que la vie politique.


 

 
 


Le nom de Thierry Breton circule aussi, mais à mon avis à tort. Avec lui, il s'agirait de former un gouvernement technique, mais dès lors qu'il faut construire un budget, même les moins politiques deviennent des politiques ; c'est la fonction même du gouvernement. La principale responsabilité des élus demeure le vote des budgets, quelle qu'en soit les collectivités (l'État comme les collectivités territoriales). C'est l'acte politique par excellence. Parler d'un gouvernement technique, c'est laisser croire qu'il y a des solutions rationnelles qui peuvent se passer des passions politiciennes. Dans une Assemblée aussi fragmentée, c'est impossible.

Reviennent enfin deux noms qui paraissent être les clefs de ce moment politique. Il s'agit de Bernard Cazeneuve et François Bayrou. Cela a été déjà évoqué par Daniel Cohn-Bendit dès le 1
er décembre 2024 sur LCI : François Bayrou serait en train de constituer un gouvernement resserré autour de plusieurs personnalités représentatives du front républicain. Concrètement, les deux hommes se sont rencontrés récemment et ce 6 décembre 2024, Bernard Cazeneuve a affirmé que François Bayrou ferait un très bon Premier Ministre. Rappelons d'ailleurs que l'ancien Premier Ministre socialiste a été l'invité de François Bayrou à l'université de rentrée du MoDm le 29 septembre 2024 à Guidel. Enfin, François Bayrou a déjeuné avec Emmanuel Macron le 5 décembre 2024, au lendemain de la censure et juste avant l'allocution présidentielle.
 

 
 


En quoi François Bayrou pourrait-il être l'homme de la situation ? D'abord, son expérience, équivalente à celle de Michel Barnier, avec moins d'international et plus de politique intérieure, et une différence de taille : il a été peu au gouvernement, mais il a été trois fois candidat à l'élection présidentielle, dont une fois en 2007 où il avait suscité beaucoup d'espoir en frôlant la qualification au second tour. Son positionnement a souvent été courageux : loin de se laisser enfermer dans l'UMP en 2002, il a perdu de nombreuses occasions d'être ministre entre 2002 et 2012, par son refus de soutenir Nicolas Sarkozy.

À Emmanuel Macron, il est quasiment le seul responsable politique suffisamment proche mais aussi suffisamment indépendant d'esprit pour dire franchement ses quatre vérités. Emmanuel Macron lui doit aussi sa première élection grâce au ralliement du président du MoDem. Refusant de voter pour Nicolas Sarkozy en 2007, votant pour François Hollande en 2012 (une sacrée erreur, et il n'a reçu qu'ingratitude de le part du nouvel élu), soutenant Emmanuel Macron en 2017, et encore récemment, dans la discussion budgétaire, le MoDem a pris souvent des positions de gauche, il est le plus apte à mettre d'accord des personnalités de droite et de gauche, car il n'est ni l'un ni l'autre.

L'épisode de février 2024 est un peu oublié, c'est pourtant récent, et peut s'expliquer à la lumière des événements actuels. François Bayrou, acquitté par la justice, blanchi avec l'honneur retrouvé, pouvait revenir au gouvernement à un moment où l'on cherchait un nouveau Ministre de l'Éducation nationale. Or, le haut commissaire du plan avait obstinément refusé de rentrer au gouvernement, préférant se mettre en réserve pour plus tard.

Enfin, François Bayrou garde une autre caractéristique : il est également lepénocompatible, ce qui pourrait paraître très surprenant. Toute sa vie politique a montré qu'il ne transigeait pas sur les valeurs et qu'il a toujours combattu l'extrême droite, mais toujours sur le terrain politique et pas sur le terrain moral. Ainsi, il a aidé Marine Le Pen à recueillir des parrainages pour se présenter à l'élection présidentielle de 2022 en lui apportant le sien et celui d'une trentaine d'élus du MoDem. Par ailleurs, il a aussi déploré qu'une décision de justice puisse empêcher la leader du RN d'être candidate à la prochaine élection présidentielle, d'autant plus qu'il ressent une certaine solidarité à cause du procès des assistants parlementaires, même s'il correspond à des sommes dont les montants n'ont rien à voir avec ceux du procès du MoDem.


 

 
 


Disons-le clairement : François Bayrou rêverait de devenir ce Premier Ministre de consensus qui consacrerait toute sa vie politique. Longtemps persuadé qu'il serait élu Président de la République (le cynique François Mitterrand le lui avait dit dans l'oreille dans les années 1990, et il l'avait cru !), il est prêt depuis longtemps à diriger la France. Un peu comme Ségolène Royal mais à la grande différence que le maire de Pau a des troupes, un groupe politique à l'Assemblée, et surtout, il a une cohérence politique sur le long terme dont peu de responsables politiques peuvent se vanter.

Je ne suis pas d'accord sur tout ce que dit François Bayrou, en particulier, je suis fondamentalement opposé à la proportionnelle et ce serait une faute grave de vouloir l'instaurer en ces moments troubles (j'y reviendrai), mais je pense qu'il est l'homme de la situation parce qu'il n'y a plus d'autres personnes prêtes à remonter les manches sans arrière-pensées présidentielles et avec une volonté sincère d'apaisement. L'intérêt général l'emporte chez lui sur les postures cyniques et irresponsables (et puis, c'est son tour, dans l'ordre alphabétique, après Barnier et avant Cazeneuve !).

Terminons encore par un sourire où l'antimacronisme est servi (et compensé) par le talent d'hilarant, une autre séance de pédopsychothérapie présidentielle, cette fois-ci juste après l'avant-dernière allocution télévisée où le Président a annoncé la fameuse dissolution de l'Assemblée. Par la talentueuse Nicole Ferroni, dont j'adore les prestations même si je ne suis pas du tout d'accord avec elle : le sens de l'humour est un tout, on l'a complètement (à ses risques et périls) ...ou pas du tout.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 décembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Premier Ministre de la Saint-Nicolas.
Emmanuel Macron face à ses choix.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
L'émotion de censure de Michel Barnier.
La collusion des irresponsables.
Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
PLF 2025 : la majorité de rejet !
Michel Barnier : déjà deux mois !
François Guizot à Matignon ?
5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
Doliprane : l'impéritie politique.
Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
La quadrature du cercle de Michel Barnier.









https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241206-premier-ministre.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-premier-ministre-de-la-saint-258004

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/06/article-sr-20241206-premier-ministre.html



 

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