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  • Shirley Chisholm, la précurseure de Kamala Harris et Hillary Clinton

    « Au sujet de mes handicaps, le fait d'être une femme m'a donné plus de fil à retordre pour ma carrière que le fait d'être une Noire. » (Shirley Chisholm).



     

     
     


    Aujourd'hui, je souhaite rendre hommage à une femme politique américaine d'un incroyable charisme, à savoir Shirley Chisholm, qui est née il y a exactement 100 ans, le 30 novembre 1924, à Brooklyn (à New York), sous son nom de jeune fille Shirkey Anita St. Hill. Elle est morte à l'âge de 80 ans le 1er janvier 2005 en Floride.

    On la présente souvent comme "la première femme noire" à avoir été élue représentante (membre de la Chambre des représentants au Congrès des États-Unis), mais, comme elle le disait, le fait d'être noire, à savoir que la couleur de sa peau fût noire (ce qui est, vous en conviendrez, une caractéristique bien dérisoire et anecdotique par rapport aux convictions, à l'idéologie, à la personnalité, à l'intelligence, au rayonnement, à la sympathie, etc. d'une personne), n'était pas vraiment le,plus gros handicap pour elle.

    En effet, les États-Unis, au contraire de la France (et je préfère de loin l'organisation française), est un pays communautariste, à savoir que les communautés en tant que telles existent (couleur de peau, religion, orientation sexuelle, etc.), et comme ce pays est un pays démocratique, chaque communauté a sa propre représentation élective au sein du Congrès, en ce sens où, par exemple, les limites des circonscriptions à New York, intègrent certaines "populations", au palier d'immeuble près.

    En France, au contraire, tous les individus sont "fondus" dans ce qu'on appelle le "creuset républicain" et seul le mérite personnel distingue les uns et les autres, sans prendre en considération une appartenance à un quelconque groupe religieux, ethnique, d'orientation sexuelle, etc. C'est notre principe de laïcité que les pays anglo-saxons ont beaucoup de mal à comprendre car il s'oppose à un autre fait, le multiculturalisme (qui n'a jamais été la règle en France, au contraire des États-Unis et du Royaume-Uni, mais aussi de l'Afrique de Sud, du Liban, etc.).

    Par exemple, il existe aux États-Unis le Caucus noir du Congrès (Congressional Black Caucus), dont Shirley Chisholm a participé à la création le 30 mars 1971, qui est une sorte de regroupement (groupe) des parlementaires afro-américains des États-Unis. Il ne viendrait pas à l'esprit en France de créer une association des parlementaires à peau noire ! Et si elle se créait, cela provoquerait de fortes polémiques en France (avec raison), comme cela avait ému qu'un syndicat étudiant ait organisé des formations réservés à certains étudiants, en l'occurrence ceux à peau noire, ce qui s'apparentait à de la discrimination (idem lorsqu'on réserve des réunions aux seules femmes, cela va à l'encontre du principe d'universalisme de l'être humain).

    Concrètement, comme l'a compris elle-même Shirley Chisholm, le fait d'être une femme semble, encore aujourd'hui, plus un handicap politique pour réussir en politique que le fait d'avoir la peau de couleur noire. La preuve, c'est que Barack Obama a gagné en 2008 et Hillary Clinton a perdu en 2016, et elle a même perdu face à Barack Obama aux primaires démocrates en 2008.

    Soyons bien d'accord : le fait d'être une femme en politique ou d'avoir la couleur de peau noire en politique n'est pas, en lui-même, un exploit, qu'il y ait réussite ou échec. En revanche, il faut bien reconnaître que dans une société pour qui ces caractéristiques sont exotiques, sont exceptionnelles, sont en dehors pas d'une normalité mais je dirais d'une "ordinarité", sortent de l'ordinaire, le fait de vouloir faire de la politique au plus haut niveau nécessite de l'endurance, de la ténacité, du courage, et aussi du charisme, et Shirley Chisholm n'en manquait pas.
     

     
     


    Évoquons rapidement la trajectoire politique de Shirley Chisholm qui, à l'origine, était une enseignante et directrice d'un établissement scolaire. Très vite, elle s'est investie dans plusieurs associations et organisations civiques, en particulier la League of Women Voters (ligue des femmes électrices) et la National Association for the Advancement of Colored Peopel (NAACP), autrement dit, l'association nationale pour la promotion des personnes de couleur, la plus importante et ancienne organisation de défense des droits civiques, qui rappellent ses deux caractéristiques, femme et afro-américaine. Elle a aussi cofondé le 30 juin 1966 une organisation féministe, l'Organisation nationale pour les femmes (National Organization of Women) avec, entre autres, la féministe Betty Friedan.

    Les activités militantes de Shirley Chisholm l'ont mené jusqu'à la politique et à son plus haut niveau, au Congrès à Washington, son élection à la Chambre des représentants des États-Unis le 5 novembre1968, elle représentait le douzième district de New York. À ce titre, elle a été la première femme noire élue représentante (députée), pas la première femme (elle a succédé à la démocrate Edna Kelly à ce siège, présente depuis 1949 et battue à la primaire par Shirley Chisholm). Elle a été très bien élue, avec 35 239 voix face à deux adversaires, l'un à 13 615 voix et l'autre à 4 049 voix : « C'est un grand honneur d'avoir été choisie comme première femme noire à siéger à la Chambre des représentants des États-Unis à Washington. J'ai l'intention de représenter l'ensemble du peuple, Blancs, Noirs, les hommes comme les femmes et plus particulièrement les jeunes. Il y a de nouvelles idées qui germent, je parlerai pour elles et ma voix sera entendue ! ». Elle a été ensuite réélue six fois (le mandat est de deux ans, c'est court), en tout, elle a exercé dans la fonction parlementaire fédérale du 3 janvier 1969 au 3 janvier 1983 (quatorze ans).

    En fait, l'élection comme représentante des États-Unis n'était pas immédiate : elle a bataillé ferme au sein du parti démocrate pour déjà devenir une personnalité politique respectée et sans doute que son premier combat victorieux, le plus crucial, était de se faire admettre au sein de l'État de New York : profitant de l'absence de candidature à la réélection d'un membre démocrate de l'assemblée de l'État de New York (il faut considérer cette instance comme un conseil régional même si c'est un peu plus que cela à cause de la structure fédérale des États-Unis), le sortant devenu juge, Shirley Chisholm s'est présentée à la primaire visant à désigner le candidat à cette élection. Elle avait contre elle tous les caciques du parti démocrate qui considéraient qu'une femme, qui plus est de peau noire, ne pouvait pas gagner une élection. Néanmoins, elle a battu son adversaire à la primaire en septembre 1964 (4 290 voix contre 1 729 voix), puis a été élue à l'élection en novembre 1964, battant très largement son adversaire républicain avec 18 151 voix contre 1 893. Elle avait alors 30 ans. Elle était en fonction à ce mandat local de janvier 1965 à janvier 1969 avant de conquérir le mandat national.

    Lorsqu'elle est arrivée au Congrès à Washington en janvier 1969, le Président élu était républicain, Richard Nixon, mais les deux chambres du Congrès étaient démocrates, la Chambre des représentants et le Sénat. Elle a pris surtout des positions en faveur des femmes, sans considérations communautaires, en particulier en défendant le droit à l'avortement, l'accès des femmes à l'armée, etc. En juin 1969, Shirley Chisholm a été reçu à Détroit par une autre femme remarquable, Rosa Parks et les deux s'admiraient. En effet, leurs combats contre les discriminations se rejoignaient.

    Lorsqu'elle a cofondé le Congressional Black Caucus le 30 mars 1971 (voir plus haut), elle s'est aperçue qu'elle était la seule femme sur les treize membres fondateurs, et surtout, le clivage était plus sur homme/femme que sur la couleur de peau. C'est pourquoi son combat a plus évolué vers le féminisme et la lutte des femmes que vers la défense des droits civiques d'une population afro-américaine.

     

     
     


    La grande affaire de sa vie, celle qui a marqué l'histoire politique de son pays, c'est l'élection présidentielle de 1972. Chez les Républicains, le suspense était faible avec la candidature du Président sortant, Richard Nixon. En revanche, les Démocrates étaient plus divisés que jamais par un manque de leadership alors qu'ils dominaient le Congrès.

    Se donnant une ligne d'horizon, la féministe Betty Friedan a déclaré en 1971 son objectif : « Il n'est pas impossible qu'une femme puisse se porter candidate pour l'élection présidentielle de 1976 et emporte la victoire ! ». Très vite, un mouvement en faveur de Shirley Chisholm s'est amorcé, d'autant plus que le parti démocrate était en retard en ce domaine (dans les États du Sud, les démocrates étaient des conservateurs).

    En effet, la première femme élue à la Chambre des représentants, la première femme élue au Sénat des États-Unis, la première femme candidate à l'élection présidentielle (en 1964), c'était une parlementaire républicaine, Margaret Chase Smith. Shirley Chisholm a alors bénéficié, d'un côté, de la volonté chez certains démocrates de mettre en avant une femme, et aussi, de l'autre côté, de la volonté d'organisations de défense des droits civiques (dont une représentée par Jesse Jackson, futur candidat en 1984), de peser sur l'élection présidentielle du côté démocrate.

    En novembre 1971, un an avant l'élection présidentielle effective, Shirley Chisholm a annoncé à ses collaborateurs : « Vous savez, je crois que je vais faire quelque chose à laquelle personne n'arrivera à croire ! Je vais me lancer comme candidate dans la course à la présidentielle. Celle de Président des États-Unis ! ». Elle précisa sa pensée lors de sa déclaration de candidature le 25 janvier 1972 à New York : « Je ne suis pas la candidate des Noirs d'Amérique bien que je sois noire et fière de l'être, je ne suis pas la candidate des mouvements féministes de ce pays bien que je sois une femme et fière de l'être, (…) je ne suis pas non plus la candidate d'un chef politique ni celle d'un gros bonnet. ».


    Bien que n'ayant jamais espéré gagner les primaires démocrates en 1972, Shirley Chisholm a fait bouger les lignes considérablement au sein du parti démocrate. Elle a gagné une primaire dans un État, la première femme démocrate, et elle a été sélectionnée officiellement comme candidate à la Présidence au cours de la Convention démocrate en juillet 1972.
     

     
     


    Deux résultats lors de ces primaires démocrates de 1972 ont ébloui Shirley Chisholm.

    D'une part, le résultat de la course aux primaires (nombre de voix et pourcentage). À ce classement (sur 16 millions de votes au total), soutenue par Jesse Jackson et les féministes, elle est arrivée en septième position sur les seize candidats des primaires, ce qui était très honorable : avec 430 703 voix, soit 2,7% des voix, elle est arrivée derrière Hubert Humphrey, ancien Vice-Président de l'ancien Président Lyndon Johnson, avec 4,1 millions de voix (25,8%), George MacGovern qui est arrivé juste après avec 70 000 voix de retard (25,3%), puis George Wallace 3,8 millions de voix (23,5%), Edmund Muskie 1,8 million de voix (11,5%), préféré par la direction du parti démocrate (et le favori ; soutenu notamment par Adlai Stevenson et John Glenn), et Henry M. Jackson 505 198 voix (3,2%), soutenu par Jimmy Carter. Elle était devant Terry Sanford 331 415 (2,1%), soutenu pourtant par Lyndon Johnson. Quant à Ted Kennedy (ancien favori), il est arrivé en treizième position avec seulement 15 693 voix (0,1%), mais il n'était plus candidat à cause de l'affaire de Chappaquiddick (accident de voiture qui a tué une collaboratrice, lui au volant).

    D'autre part, le résultat du vote des délégués pendant la Convention nationale démocrate réunie à Miami Beach du 10 au 13 juillet 1972 : elle a fait mieux que le classement en voix puisqu'elle a été classée en quatrième position. Le vote a plébiscité George MacGovern, candidat très à gauche (pacifiste alors que la guerre au Vietnam sévissait), avec 1 729 (57,4%), qui a gagné son combat contre le très conservateur George Wallace 382 (12,7%), derrière aussi Henry M. Jackson 525 (17,4%). Shirley Chisholm a fait 152 votes de délégués (5,0%), plus que Terry Sandford 78 (2,6%), Hubert Humphrey 67 (2,2%) et Edmund Muskie 25 (0,8%). À ce vote, Walter Mondale a recueilli le vote d'un délégué. La faiblesse de Hubert Humphrey a étonné alors qu'il était le premier en vote populaire pendant les primaires.

    Une telle différence entre vote de délégués et vote populaire (provenant d'une modification de la règle du jeu illisible) a fait que beaucoup de partisans de concurrents de George MacGovern ont refusé de faire la campagne du candidat désigné. On connaît le résultat de l'élection générale, Richard Nixon a été réélu triomphalement avec le vote populaire 60,7% des voix (46,7 millions de voix) et 520 grands électeurs contre George MacGovern 37,5% des voix (28,9 millions de voix) et 17 grands électeurs.


    Cette élection de 1972 a été donc une catastrophe pour les démocrates, mais pas tous les démocrates, car pour Shirley Chisholm, ce fut au contraire une réussite et la preuve que sa candidature ou celle d'une femme comme elle pouvait être considérée comme sérieuse et réussir plus tard. « J'ai participé à l'élection présidentielle, parce que quelqu'un devait être le premier à le faire. Dans ce pays, n'importe qui est supposé pouvoir poser sa candidature, mais dans les faits c'est faux. J'ai posé ma candidature parce que la plupart des gens pensent que le pays n'est pas prêt pour un candidat noir, que le pays n'est pas prêt pour une candidate. Un jour... ».

    Plus encore que son succès électoral, son succès médiatique : elle a bondi dans les sondages de popularité, considérée comme une personnalité importante, faisant partie en 1974 des dix femmes préférées des Américains aux côtés de Jacqueline Kennedy et Indira Gandhi. Sa vie a continué comme parlementaire mais aussi conférencière. Elle a quitté la Chambre des représentants pour accepter le poste de professeur d'université entre 1983 et 1991, enseignant la sociologie et les sciences politiques. Elle a participé activement aux campagnes présidentielles de Jesse Jackson en 1984 et 1988. Elle a pris sa retraite en 1991 en s'installant en Floride, à Palm Coast.

    Le Président Bill Clinton lui a proposé en 1993 le poste d'ambassadrice des États-Unis en Jamaïque, mais elle refusa en raison de son état de santé. Sa réflexion sur ce qui restera d'elle a été la suivante : « Je ne veux pas qu'on se souvienne de moi comme la première femme noire à être élue au Congrès des États-Unis, même si je le suis. Je ne veux pas qu'on se souvienne de moi comme la première femme qui a montré qu'un Noir peut espérer être un candidat sérieux à la Présidence. J'aimerais être connue comme étant un ferment du changement, une femme déterminée, une femme constante dans son combat à la fois pour les femmes et pour les Noirs parce que je suis à la fois une femme et une Noire. ».

    Cela a expliqué pourquoi Hillary Clinton, lors de la Convention national démocrate de Chicago, qui a intronisé la candidature de Kamala Harris, a évoqué le 19 août 2024 la figure de Shirley Chisholm : elle a fait partie de la longue série des tentatives pour permettre à une femme d'accéder la Maison-Blanche. Passant la sélection impitoyable des primaires des deux grands partis (impitoyable également pour les hommes), des femmes ont réussi à se hisser au niveau de l'élection générale. Ainsi Geraldine Ferraro a été candidate démocrate à la Vice-Présidence de Walter Mondale en 1984 ; puis Sarah Palin a été candidate républicaine à la Vice-Présidence de John MacCain en 2008 ; Hillary Clinton a été la candidate démocrate à la Présidence, la première, en 2016 ; enfin, Kamala Harris a encore mieux fait puisqu'elle a été élue Vice-Présidente des États-Unis en 2020 avec Joe Biden à la Présidence, et candidate démocrate à la Présidence en 2024. Elle n'a pas réussi, mais Shirley Chisholm n'a jamais désespéré. Elle savait les difficultés, elle disait en effet : « La porte est maintenant ouverte, …mais elle est encore loin ! ».



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    Sylvain Rakotoarison (30 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


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